Une simple intervention by Yaël INOKAI

Une simple intervention by Yaël INOKAI

Auteur:Yaël INOKAI
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Zoé


9

Elle était agenouillée au pied de son lit, appuyée sur ses coudes. Son front reposait sur ses mains croisées.

Voilà comment je l’ai trouvée, dans la semi-obscurité. La neige jetait une lumière froide à l’intérieur. Il m’a fallu un moment pour distinguer clairement sa silhouette. Pourtant, je savais qu’elle était là. Nous nous connaissions désormais suffisamment pour sentir la présence de l’autre avant d’entrer dans la chambre.

La porte était mal fermée. Je l’ai légèrement poussée. Il était déjà tard, la nuit était tombée depuis longtemps.

J’ai cligné des yeux car je n’étais pas sûre de bien voir. Elle chuchotait les yeux fermés. Elle ne m’a pas remarquée.

J’ai doucement refermé la porte. Je suis descendue. Me suis assise seule à l’une des grandes tables et j’ai pris mon dîner. J’avais assisté à quelque chose d’intime, plus intime qu’un corps nu, plus intime que des larmes.

J’ai laissé le trouble me gagner. Écouté les bruits de la maison. Le bois qui craquait à cause du froid, les bruissements dans les murs, signal infaillible d’un passage nocturne aux toilettes. Soudain ses pas dans l’escalier. Elle s’est immobilisée dans le cadre de la porte.

« Viens au chaud », a-t-elle dit.

J’étais au-delà de la fatigue. Je ne voulais pas me coucher, je savais que sinon je passerais la nuit avec mes pensées.

« Je vais ressortir.

— Il fait un froid terrible. »

Sur les vitres, on voyait des cristaux de glace cheminer et se ramifier. Un dernier soubresaut de l’hiver. Nous étions déjà fin mars.

« Viens avec moi », ai-je dit.

Nous avons pris les vélos et pédalé jusque-là où s’arrête la route goudronnée. D’ordinaire, la forêt nous accueillait en mur noir, mais ce soir-là la neige lui donnait un relief, la rendait souple, presque engageante. Nous avons posé les vélos et pris le même sentier que la nuit de Noël. Nous reviendrions par le même chemin.

Nous nous taisions. La neige avait déployé son manteau sur les bruits. Seul le crissement de nos pas résonnait, notre respiration, de temps à autre un craquement dans les fourrés.

Les infirmières étaient nombreuses à craindre la forêt. S’il faisait nuit et qu’elles devaient rentrer seules, elles faisaient un détour. Il y avait des histoires, bien sûr, toutes lugubres à leur façon. Moi, je n’avais pas peur de la forêt. Je me fiais au chemin que je prenais jour après jour, certaine que cette confiance me protégerait.

Sarah me précédait. Elle ne supportait pas de rester à côté de moi quand nous nous déplacions. Je connaissais désormais si bien son dos. Je connaissais la légère courbe qu’il formait sur le vélo. Je connaissais son allure droite, la fierté qu’elle maintenait même dans la fatigue

Il a recommencé à neiger. J’ai d’abord cru à une illusion, de la neige qu’un coup de vent aurait soufflée d’un arbre. Mais les flocons se sont multipliés. Ils tombaient sans bruit sur le sol, les arbres et les buissons. Sur les cheveux de Sarah. Elle a tendu la main et attrapé quelques flocons.

J’ai retenu mon souffle. Je ne voulais pas voir la buée formée par mon haleine glacée. Je voulais regarder ses cheveux, et la neige en faire lentement son paysage.



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