Clarissa by Stefan Zweig

Clarissa by Stefan Zweig

Auteur:Stefan Zweig [Zweig, Stefan]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2253095281
Éditeur: Belfond


Septembre, octobre,

novembre 1914

Plus tard, Clarissa ne se souvint pas des péripéties de ce retour. Elle voyait tout comme à travers un voile de brume. Partout, les murs étaient couverts d’affiches. Elle ne les regardait pas. Elle vivait tout cela comme quelque chose qui lui était totalement étranger. Des gens se bousculaient pour monter dans le train, des recrues décorées de rubans et portant des drapeaux ; tous les gens autour d’elle étaient bruyants et surexcités. Ils avaient des yeux brillants, ils fraternisaient. Dans les gares, de jeunes garçons ; elle ne regardait pas par la fenêtre. Les vendeurs de journaux criaient ; mais elle était manifestement le seul être qui ne savait rien parce qu’il ne voulait rien savoir. Les roues du train, sous ses pieds, ronronnaient : tout est fini, fini, tout est passé, passé.

Puis, soudain, elle se retrouva dans sa chambre d’autrefois, à la maison ; elle ne savait pas comment elle était arrivée jusque-là. Un aide de camp lui avait ouvert la porte, avait dit quelque chose, probablement que le général allait venir ; elle ne savait pas exactement ce qu’il lui avait dit. Il y avait un fauteuil dans sa chambre, et elle s’y laissa tomber, comme étourdie. Elle ne parvenait pas à avoir les idées claires. Quelque chose était en train. Et c’était la guerre. Quelque part dans les Carpates. Ou bien ce n’était pas vrai, ou bien les semaines des combats étaient passées depuis longtemps.

Elle ne savait pas non plus quel jour on était, ni l’heure, si c’était le soir, s’il faisait nuit ; elle entendit la porte tourner sur ses gongs, dehors. Elle reconnut le bruit de pas de son père. Elle se leva et alla à sa rencontre. Il lui sembla épuisé et soucieux : il avait vieilli, ses cheveux étaient devenus gris. Il se raidit quand il la reconnut et l’embrassa d’un air grave. « C’est bien que tu sois venue aujourd’hui. Édouard part au front demain. Il passera tôt le matin pour faire ses adieux. » Un silence suivit. « Nous devons nous attendre au pire, dit-il d’une voix grave. Cela durera longtemps, et un autre monde surgira de cette guerre. C’est pour cela que j’ai vécu, pour cela que j’ai travaillé. Maintenant, la guerre va vraiment venir. Je me demande bien de qui seront ainsi exaucés les vœux. Enfin… » ajouta-t-il en s’asseyant à sa table de travail. Quand il s’installait à son bureau, cela signifiait qu’il voulait encore travailler et ne pas être dérangé.

« Bonne nuit », dit-elle à voix basse.

Il leva les yeux une fois encore.

« Que vas-tu faire, à présent ? lui demanda-t-il. Reprendras-tu ton ancien emploi ou seras-tu volontaire pour le service sanitaire ? »

Elle réfléchit. Elle n’y avait pas encore songé.

« Je ferai comme tu le souhaiteras. Peut-être auras-tu besoin de moi ici.

— Non, dit-il calmement. C’est au front qu’on aura besoin des meilleurs. Il faut choisir la difficulté, sinon on ne le supporte pas. »

Elle baissa la tête et sortit. Elle n’avait pas pensé à cela.



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