Tous les hommes sont mortels by Simone de Beauvoir

Tous les hommes sont mortels by Simone de Beauvoir

Auteur:Simone de Beauvoir
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-05-14T16:00:00+00:00


– Jamais nous n'en aurons donc fini ! dis-je avec colère. Jamais nous n'aurons les mains libres !

A peine arrivé à Augsbourg, j'apprenais que François Ier, oublieux de ses serments, se liguait avec le pape Clément VII, avec Venise, Milan et Florence pour reprendre la guerre contre l'empereur ; il s'alliait aussi avec les Turcs qui venaient de mettre en pièces une armée de vingt mille hommes commandée par Louis de Hongrie et qui menaçaient dangereusement la chrétienté. Il fallait encore ajourner mes projets et faire face à mille problèmes urgents.

– Où comptez-vous trouver de l'argent ? dis-je à Ferdinand.

Il fallait de l'argent. Les troupes impériales commandées en Italie par le duc de Bourbon réclamaient des vivres et des arriérés de leur solde : elles se mutinaient ouvertement.

Il dit :

– Je pensais en emprunter aux Fugger !

Je savais qu'il allait me faire cette réponse. Je savais aussi combien un tel expédient était néfaste ; les banquiers d'Augsbourg exigeaient des garanties et peu à peu les mines d'argent de l'Autriche, les terres les plus fertiles de l'Aragon et de l'Andalousie, toutes nos ressources de revenus étaient tombées entre leurs mains ; l'or des Amériques leur appartenait bien avant d'être entré dans nos ports ; ainsi le trésor demeurait vide et il fallait recourir à de nouveaux emprunts.

– Et des hommes ? dis-je. Où prendrons-nous des hommes ?

Il hésita puis il dit sans me regarder :

– Le prince de Mindelheim nous propose du secours.

Je sursautai :

– Allons-nous nous appuyer sur un prince luthérien ?

– Et que faire d'autre ? dit-il.

Je gardai le silence. Un seul remède... Que faire d'autre ?... La mécanique était montée, les rouages s'engrenaient, et ils tournaient immuablement, à vide. Charles rêvait de ressusciter le Saint Empire, il avait juré de défendre l'Eglise au prix de ses domaines, son sang, sa vie ; et voilà que nous allions nous appuyer sur ses ennemis pour aller combattre le pape au nom duquel nous avions dressé des bûchers à travers l'Espagne et les Pays-Bas.

– Nous n'avons pas le choix, dit Ferdinand avec insistance.

– Non, dis-je. On n'a jamais le choix.

Au début de février, nous descendîmes donc en Italie, appuyés par un renfort de lansquenets, de Bavarois, de Souabes, de Tyroliens, en tout huit mille hommes, tous luthériens dont le prince de Mindelheim avait pris la tête. Nous allâmes d'abord rejoindre Bourbon qui nous attendait dans la vallée de l'Arno. La pluie tombait nuit et jour en lourdes averses ; tous les chemins étaient changés en fondrières.

Lorsque j'arrivai dans le camp, les troupes mutinées étaient en marche vers la tente du général ; les soldats criaient : « De l'argent ou du sang ! » et ils approchaient des étoupes enflammées des lumières de leurs arquebuses chargées ; leurs hauts-de-chausses étaient en guenilles ; de larges cicatrices balafraient leurs visages ; ils ressemblaient plutôt à des brigands qu'à des soldats.

J'apportais cent mille ducats qui furent aussitôt distribués ; mais les reîtres accueillaient cet or avec des sarcasmes ; ils en exigeaient deux fois plus.



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