Ma soeur chasseresse by Arseneault Philippe

Ma soeur chasseresse by Arseneault Philippe

Auteur:Arseneault, Philippe [Arseneault, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2017-02-22T05:00:00+00:00


TROISIÈME PARTIE

MAÎTRES CHEZ NOUS

1

Comment honore-t-on la mémoire d’un mort ? C’est une question à laquelle je réfléchissais en route vers La Tuque. Pour le voyage, j’avais loué un Toyota RAV4 de l’année, vert forêt. Une gaine en vachette recouvrait le volant (du cuir de cordonnier, pas du dessous de queue). Je ne me serais pas imaginé que le contact prolongé d’une roue en peau animale pouvait être aussi agréable. C’était vraiment tout autre chose que le toucher de la résine vinylique.

Comment honore-t-on la mémoire un mort ? Plus particulièrement, celle d’un mort qu’on ne connaissait, somme toute, qu’assez superficiellement ? J’entends bien que c’est un rituel auquel on procède pour son propre bénéfice, pas pour celui de la personne décédée. Le mort est mort. Il fait partie du « passé absolu » des astrophysiciens (ou de l’Ailleurs ?), mais pas du maintenant et, vraisemblablement, pas du futur non plus. Pareille cérémonie n’a pas à voir avec le mort, mais avec les vivants qui y participent.

Je ressentais la nécessité un peu scénique de dire merci à un garçon qui m’avait rendu un service important quand nous étions adolescents, mais qui s’était suicidé un an plus tôt. Calcul mental… Vingt-deux ans. J’avais raté une fenêtre de vingt-deux ans pour lui rendre grâce de vive voix. Ceci posé, j’escomptais qu’il vivrait beaucoup plus vieux que trente-sept ans. Ce n’était pas ma faute s’il s’était enlevé la vie. Je n’allais quand même pas culpabiliser à m’en rendre malade.

Comme je suis sensible à la poésie des rites, je trouvai que c’était un compromis acceptable de souligner le premier anniversaire de sa mort en posant un petit geste. Aller à la messe commémorative, c’était une chose, mais je tenais aussi à avoir mon petit moment loin des autres, mon tête-à-tête occulte. Et quelle forme cela pouvait-il prendre ? J’essayai de réunir en une gerbe mentale les souvenirs qu’il me restait de Daniel Boileau. Le hockey. Les pétards à mèche pendant les cours de religion. La musculation. Un intérêt irrationnel pour les mœurs des carcajous. La chasse au collet. Les jeux vidéo. Tout cela était très juvénile. Nous avions seize ans lors de notre dernière conversation.

Finalement, je m’arrêtai à Trois-Rivières et passai une heure à chercher une boutique de jeux vidéo. J’en trouvai une, finalement, où pour soixante-cinq dollars, on me laissa partir avec une cassette vintage de Super Mario Bros. 2.

Cadeau pour toi, Boileau.

J’arrivai à La Tuque pile pour souper. À quand remontait mon dernier séjour ? Cinq ans ? Six ans ? Au motel Le Voyageur, une merdouille avec la réservation me valut un « surclassement » en suite présidentielle (« La chambre est plus grande et il y a un bain-tourbillon. »). Je garai le RAV4 devant l’entrée et transférai mes bagages. Après un moment d’hésitation, je choisis de prendre une douche. Puis, les cheveux encore humides, je marchai jusqu’au centre-ville. Chez Scarpino, un restaurant où j’avais fait de la plonge à quinze ans, j’avalai dix-huit ailes de poulet, plus une portion de frites, un grand Pepsi frappé et un morceau de pouding chômeur.



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