Anonyme by Inconnu(e)

Anonyme by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Le petit cap

Sept hivers ont passé sur la grève déserte

Du vieux cap solitaire où je venais rêver.

Là, sous la pierre inerte,

Sous les sapins ombreux où le vent vient jeter

Les murmures du soir; sous la mousse endormie

Qui pend comme un long crêpe aux flancs du roc brisé,

Mon âme est enfouie

Comme sous la forêt un rameau desséché.

J’erre depuis sept ans comme un flot sur la plage

Arrive, puis repart, poussé, puis repoussé,

Retournant à l’abîme et par lui rejeté,

Pour moi pas de rivage

Où reposer mon coeur; je vais, quoique abattu,

Brisé, je marche encor; si parfois je m’arrête,

Je ne vois à mes pieds qu’une rive muette

Près d’un port inconnu.

Le fardeau pèse en vain sur mon âme accablée,

Je n’incline pas plus vers la terre glacée

Où m’aspire l’oubli.

Ma vie est un désert où souffle un vent aride,

Sans éveiller d’échos... mon coeur est dans le vide

Et le vide est en lui.

Je porte mon néant; mon tombeau, c’est moi-même;

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Et l’ombre du sépulcre est comme un diadème Qui m’entoure vivant;

Tel un arbre flétri sous les coups de l’orage

Se prépare un linceul de son propre feuillage,

À sa mort survivant!

Ô rêves d’autrefois! ô mes jeunes années!

Dans le flot éternel qui donc vous a poussées

Si loin de mon regard?

Oh! revenez vers moi, qu’un instant mon coeur s’ouvre

Que j’écarte un seul jour le deuil qui vous recouvre

Avant qu’il soit trop tard!

Venez, mes souvenirs, que je vous voie encore,

Passez devant mes yeux comme la fraîche aurore

Qui dorait mes vingt ans.

Passez, souffles ardents où flottaient les ivresses

De mes jours enchantés, et qui de vos caresses

Attendrissiez le temps.

Quel accent triste et doux sort de la nuit tombante?

Est-ce le bois qui pleure en courbant ses rameaux?

Ou les échos du soir qui glissent sur les eaux

Avec l’ombre rêvante?...

Non, je suis seul, hélas! le sentier frissonnant

Ne rend plus de ses pas le fugitif murmure.

Je reviens seul, errant,

Avec le souvenir, vivante sépulture,

Où le bonheur s’engouffre en laissant le regret,

Semblable à ce reflet

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Qu’agite le soleil sur une feuille morte, Et qui la suit au loin dans le vent qui l’emporte.

Son parfum vole encor parmi les noirs rochers,

J’entends gémir sa voix au sein des flots amers

Et son souffle qui passe, et l’oiseau sur la branche

Qui chante ses douleurs.

Et la brise, en fuyant sur l’herbe qui se penche,

Y recueille ses pleurs.

Que j’étais jeune alors! le temps n’avait pas d’aile;

Sans vieillir je vivais, et la nuit et le jour

Lorsque j’étais près d’elle,

Se confondaient ensemble, et c’était un amour

Qui toujours renaissait; je vivais dans un rêve,

Oublieux de cette heure où tout songe s’achève,

Le mien était trop beau!

Soudain je m’éveillai, j’étais près d’un tombeau!

Elle est morte, emportant mon rêve dans son âme,

Le destin prit son souffle à ma lèvre flottant

Comme un baiser de flamme,

Je la tenais encore!... et son oeil expirant

S’éteignait dans le mien; elle n’eut qu’un instant

Pour mourir, et qu’un jour pour aimer et le dire,

Comme la fleur naissante au vent qui la déchire

S’effeuille sans effort,

Elle effeuilla sa vie au souffle de la mort.

Tadoussac, 10 août 1871.

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