Les loups by Benoît Vitkine

Auteur:Benoît Vitkine [Vitkine, Benoît]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Les Arènes
Publié: 2022-02-11T11:58:19+00:00

J – 17, Gouliaï-Polie

Le jeune anarchiste a bien travaillé. L’institutrice a quitté son appartement de la rue du Prolétaire-Rouge il y a cinq ans. Plus ou moins expropriée par un neveu qui a ensuite revendu le bien pour une misère. Obligée de se réfugier dans une petite maison éloignée du centre. Depuis une heure qu’il l’observe, garé à une dizaine de mètres dans la rue des Spartakistes, Semion a eu le temps d’en repérer toutes les imperfections : le bois mangé par les termites et l’humidité, les murs qui penchent, le toit ébranlé, la peinture verte qui n’est plus qu’un lointain souvenir. La maisonnette garde toutefois son charme, avec ses dessus de porte chantournés, ses rideaux de dentelle blanche aux fenêtres. Au fond du jardin, trois arbres forment un verger modeste, leurs fleurs jettent des éclats lumineux. Au moins a-t-elle un potager, pense encore Semion depuis l’habitacle du Toyota. Bien entretenu, même. Le bandit distingue les plants de carottes, de citrouilles, de pommes de terre… Des légumes de pauvres, de ceux qu’on plante pour bouffer, pas pour occuper ses dimanches…

Pour sa peine, Semion a glissé à Marko un billet de 500 hryvnias. Il pensait lui faire plaisir mais le gamin a paru surpris, blessé. Il a quand même pris l’argent. La suite a été tranquille. Semion a passé la journée allongé sur le lit de sa chambre d’hôtel, à écouter les murs vibrer sous l’assaut de la musique techno du restaurant, poussée à fond dès 15 heures. À 18 heures, il s’est mis en planque devant la maison de la vieille, observant sa silhouette voûtée s’agiter à travers les fenêtres. Rien de suspect, ni chez l’institutrice, ni dans les maisons voisines, également occupées par des retraités. Tout juste Semion a-t-il tiqué quand il a vu passer dans son dos un 4 × 4 Mercedes un peu trop chic pour le quartier, pour la ville. Puis il s’est rappelé que dans toutes les localités, même les plus misérables, on trouve toujours des petits ou gros malins qui tirent leur épingle du jeu, qui s’approprient les maigres ressources des autres et ont tôt fait de les dépenser dans le signe extérieur de richesse le plus primaire : une voiture qui en impose.

Avant de sortir, il a jeté un dernier coup d’œil dans le rétroviseur. Il a souri en comprenant d’un coup pourquoi la Chienne avait insisté pour l’envoyer, lui, à Gouliaï-Polie. Son visage est sec, marqué de profondes rides, mais il a perdu tout ce qu’il pouvait avoir de terrifiant, à l’époque où son apparence constituait son principal gagne-pain. Avec sa chemise à carreaux au col soigneusement refermé et ses cheveux en brosse, il ressemble même à un bon grand-père, sévère mais pas désagréable. À voir la silhouette fragile de la vieille, il se dit que des hommes à l’aspect plus farouche, de ces hommes nouveaux dont s’entoure la Présidente, auraient pu lui provoquer un infarctus. Et puis, qui sait, peut-être auraient-ils considéré que le moyen le plus simple d’obtenir le cahier

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