Le Rire des autres (Janv. 24) by Emma Tholozan

Le Rire des autres (Janv. 24) by Emma Tholozan

Auteur:Emma Tholozan [Tholozan, Emma]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Epreuves Denoël
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Une pendaison de crémaillère s’imposait pour fêter notre emménagement, mais je me suis vite aperçue d’un problème de taille, au sens propre : nous n’avions pas assez d’amis pour remplir l’appartement. D’ailleurs, la plupart menait une vie si accablante que la soirée risquait de virer séance de psychanalyse. Malgré mon silence, Sophie continuait de m’abreuver de messages, alors j’ai craqué et je l’ai invitée. Elle venait de terminer les écrits et ne connaissait pas encore les résultats, un entre-deux insupportable, une zone de flottement où tout n’est pas encore raté, mais pas réussi non plus. Ça la déprimait pas mal, et elle traînait sur des forums où d’autres étudiants, perdus comme elle, débattaient à qui mieux mieux de la façon dont ils avaient disserté sur le thème « Les expériences de pensée permettent-elles de mettre à l’épreuve les approches alternatives de la moralité ?». Déjà, personne n’était d’accord sur la signification de la question. Tant de mots obscurs, on n’était pas loin de la pierre de Rosette. Élodie, quant à elle, ne s’en sortait pas avec les enfants des autres, et Mehdi, qui avait démissionné du fast-food, peinait à retrouver un job. Pour égayer le panel, j’ai envoyé des invitations à certains de mes collègues et aussi à de vieilles connaissances, des camarades de classe depuis longtemps perdus de vue et dont l’existence, si enrichissante qu’elle pût être, m’importait peu. Au moins ils occuperaient l’espace.

Lulu prétexterait avoir hérité de l’appartement au décès d’un vieil oncle, ça nous éviterait des questions importunes. Afin de nourrir tout ce monde, j’ai commandé des plats de traiteur, du saumon fumé à quinze euros la tranche et des litres d’alcool. Que de la qualité. Du champagne Moët et aussi du gin, pas à la fraise cette fois, c’était trop commun. Un DJ s’occupait du son, et pour la décoration, j’avais dévalisé le Bon Marché.

Les convives sont arrivés peu à peu, les copains de fac d’abord, ceux du boulot ensuite et, finalement, quelques starlettes de l’émission. L’ordre était important. Plus on était cool et plus l’entrée se faisait tardive. C’est pourquoi Sophie a été la première à sonner. Elle m’a tenu la jambe pendant quinze minutes – le quart d’heure le plus long de ma vie – en déblatérant sur la différence entre le solipsisme de la pensée cartésienne et l’isolement de l’individu compris comme Dasein chez Heidegger. Qui en a quelque chose à foutre ? Personne. J’avais une furieuse envie de lui hurler dans les oreilles : prends une coupe de champagne, change ce pull affreux pour un petit haut sexy et oublie-toi un peu ! Je retenais difficilement mes bâillements, mais j’étais attendrie malgré tout. Sophie était si candide. Heureusement, lorsqu’elle allait embrayer sur les monades, un autre groupe d’amis s’est manifesté. Sauvée par le gong. Je l’ai abandonnée en compagnie de Vladimir et d’Estragon, eux pourraient l’écouter sans fléchir.

L’ambiance était parfaite, tout le monde s’amusait. Éclats de rire. Des verres qui s’entrechoquent joyeusement. Fragrances d’eau de Cologne hors de prix. Lumières stroboscopiques. Lulu se détachait par à-coups.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.