La ligne Wallace by Agnès Mathieu-Daudé

La ligne Wallace by Agnès Mathieu-Daudé

Auteur:Agnès Mathieu-Daudé [Mathieu-Daudé, Agnès]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Biographie, Littérature française
Éditeur: Flammarion
Publié: 2021-03-15T00:00:00+00:00


Le chemin que j’emprunte à pied me permet de découvrir pour la première fois la rivière par le sud et je remarque la masse vert sombre des arbres qui la bordent. Toujours pas d’oiseaux mais le cri des barreurs sur leurs avirons, la plupart du temps des filles choisies pour leur faible corpulence et qui compensent leur petite taille par l’agressivité de leurs braillements. « Une forêt comme un long mur vert s’élevant de la mer », c’est ainsi que Wallace a découvert l’Amérique sur le pont du Mischief. Le vert de tous ces arbres qui envahissaient les rues de Pará, une ville qui pourtant, de loin, ressemblait « à Boulogne ou à Calais » – Wallace n’avait alors quitté son île qu’une fois, pour aller en France, et il manquait peut-être d’éléments de comparaison. Les humains, toujours, se rattachent à ce qu’ils connaissent déjà, alors ce sera Boulogne au Brésil. Je n’ai vu ni l’une ni l’autre. La forêt ne cessait de croître, dessus, dessous et derrière la ville – bananiers, manguiers, caféiers, orangers et surtout ces palmiers dont Wallace ravi a répertorié dans ses carnets vingt-trois espèces. Partout les racines des arbres soulevaient les fondations des bâtiments, les branches s’agrippaient aux moulures, aux corniches, aux clochetons, à tout ce qui dépasse et qu’il faut sans cesse consolider et reconstruire.

Toute sa vie, sur toutes les côtes où Wallace débarquera, il n’aura de cesse de chercher l’obscure forêt dans laquelle se perdre. Il est d’abord déçu par l’Amazonie : du vert partout, trop de vert. On ne voit rien, dans tout ce vert. Puis il devient sensible aux fûts lisses des arbres portant la voûte végétale loin au-dessus du sol encombré de graines germées et de fruits éclatés, il distingue les enroulements tenaces des lianes et des boas constricteurs, les délicats festons jetés d’un tronc à un autre par une plante parasite, les peignes ourlés des fougères. Plus que les conquistadors qui la parcourent machette à la main, c’est bien cette forêt envahissante qui m’évoque grandeur et déraison, alors que sa disparition est désormais cartographiée et chronométrée et que les jungles partout s’enlaidissent, parcourues d’une hiérarchie de mercenaires, de trafiquants divers ou de rebelles tenant un peu des deux. Wallace retrouvera les arbres en Indonésie puis se lamentera face aux séquoias californiens : un coup de scie détruisait donc ce que la nature avait élaboré pendant trois mille ans ? Il avait même essayé de devenir administrateur de l’Epping Forest, au nord-est de Londres, qu’il souhaitait préserver dans un but récréatif et éducatif : le candidat retenu par le Parlement la transforma en parc de jeux avec grand hôtel. Tout ce qu’il y reste de vraiment vert, dans la forêt, c’est la tête de Washington sur les billets qui irriguent les saignées pratiquées dans sa densité. Et maintenant les séquoias brûlent et sont ravagés par un scarabée, encore, le Phloeosinus punctatus. Quant au nord de l’Angleterre, pour les arbres, on repassera. Tout ce que j’ai découvert en sillonnant la région,



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