Le Paradis Du Kilimandjaro Et Autres Reportages by Joseph Kessel

Le Paradis Du Kilimandjaro Et Autres Reportages by Joseph Kessel

Auteur:Joseph Kessel [Kessel, Joseph]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2015-09-29T17:00:00+00:00


Le paradis du Kilimandjaro

Le seul défaut de Jean-Baptiste Nambutal, mon chauffeur noir, que le lecteur connaît déjà, venait d’une foi trop entière dans la civilisation et ses machines. C’est pourquoi, innocemment, il ignorait tout ou à peu près de la mécanique et, pour ce qu’il en savait, oubliait toujours d’emporter les outils nécessaires.

Nous étions en panne depuis deux heures sur une route déserte. Plongé dans le moteur, Jean-Baptiste touchait à tous ses organes avec les instruments les plus variés et les plus incroyables. Une clef pour bicyclette, une paire de ciseaux. Un ouvre-boîte… Une pièce de monnaie… De temps à autre, il relevait son aimable visage noir sur lequel le cambouis ne laissait pas de trace visible et disait doucement :

— La voiture marchera, monsieur. Je vous le promets, monsieur.

La voix de Nambutal m’irritait par sa gentillesse même et par sa confiance ingénue, absurde, obstinée. Le soleil avait amorcé son mouvement de descente. Arriverions-nous à temps ?

Pour tromper l’impatience et l’inquiétude, j’ouvris une petite brochure que l’on m’avait donnée à Nairobi, avant mon départ. L’œuvre étonnante de quelques hommes qui aimaient de passion la nature de l’Afrique orientale et sa faune s’y trouvait racontée. Ces hommes avaient suivi avec un effroi chaque année grandissant le carnage des bêtes libres et sauvages auquel les blancs, – et, à leur suite, les noirs, – s’étaient livrés au Tanganyika, en Ouganda et surtout au Kenya. Ces hommes avaient compris que, malgré sa prodigieuse et magnifique richesse, la faune de ces contrées ne saurait longtemps survivre aux trafiquants d’ivoire et de cornes de rhinocéros, de peaux de fauves et de viande de buffle, aux chasseurs de passage et de profession, à la cupidité, à la vanité, à la soif de l’aventure, à l’avance constante de la civilisation vers les terres vierges, à la marée du bétail indigène.

Alors ces hommes avaient entrepris de sauver, dans la mesure du possible, ce qui restait de la splendeur animale, de protéger et perpétuer sous le ciel africain les hardes d’éléphants, les tribus de lions, les troupeaux de buffles, d’antilopes et de zèbres. Ils avaient eu raison des routines, de l’avidité, de la paresse et même de la logique. Ils avaient obtenu du gouvernement et des assemblées que des territoires, parfois immenses, fussent pour toujours laissés en friche, que personne, jamais, n’y pénétrât avec une arme et que, même contre la curiosité humaine, la bête fût défendue. Ces étendues réservées, ces espaces tabous, – appelés parcs royaux et nationaux, – couvraient une superficie de 50 000 kilomètres carrés environ. Il y en avait de réduits et il y en avait d’énormes. Il s’en trouvait dans la plaine, la jungle, la montagne, le long de rivières, au flanc des volcans. L’un était situé aux portes de Nairobi et, le dimanche, les visiteurs s’y comptaient par milliers. Mais l’on en citait d’autres, tellement sauvages que les braconniers indigènes étaient les seuls êtres humains à les hanter.

Celui vers lequel je me dirigeais ce jour-là s’appelait le parc d’Amboselli, situé au pied du Kilimandjaro.



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