La grande crevasse by Roger FRISON-ROCHE

La grande crevasse by Roger FRISON-ROCHE

Auteur:Roger FRISON-ROCHE [FRISON-ROCHE, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Frison-Roche, Crevasse, Grande
Publié: 2011-02-05T23:00:00+00:00


Ce fut la mère de Nanette, la Stéphanie Guichardaz qui, la première, vit la haute flamme s’élever d’un coup au-dessus du village derrière chez elle. Elle lâcha son linge et hurla : « Le feu, vous autres, le feu ! »

Empoignant leurs seaux, les femmes quittèrent le bachal et coururent dans la direction de l’incendie. C’était un petit hangar, une sorte de remise appartenant au père Guichardaz et éloigné des habitations d’une vingtaine de mètres, qui venait de flamber, sec comme un bûcher. Par bonheur, le vent rabattait les flammes dans le sens opposé aux maisons du village, toutes accotées les unes aux autres en une file ininterrompue. Déjà les hommes étaient sur place, organisant une chaîne, faisant la part du feu, noyant les débris de planches en partie consumées qui s’écroulaient. On avait toutefois mis en batterie la pompe du village, car un tourbillon de vent aurait pu chasser les étincelles et les flammèches sur les toits environnants. Peu après, la motopompe de Chamonix arriva sur les lieux. Le rassemblement prit de l’importance. Des groupes se formaient, on se rappelait les vieux incendies qui, brusquement, sans raison apparente, avaient, un jour de vent, raflé tout un village. L’année d’avant c’avait encore été le tour du Lavanchez, et il y avait quatre ans, la moitié du hameau du Tour y avait passé. De sacrés sinistres qui arrivaient sans prévenir, déjouant les plus sages précautions.

Les gens des Praz craignaient le feu plus que tout le monde de la vallée et, par grand vent, une servitude tacite interdisait aux habitants d’allumer des feux à l’intérieur des maisons. On se contentait alors des réchauds ou des petits poêles.

Le hangar n’était plus maintenant qu’un tas de bois mouillé et chuintant, à demi brûlé, d’où s’élevait une fumée lourde, qui retombait sur la plaine en une longue traînée moutonnante. Parfois, un coup de vent plus violent faisait crépiter le foyer mal éteint et les hommes, activant la chaîne, arrosaient en hâte les décombres.

C’est alors qu’une traînée d’étincelles passa dans le ciel au-dessus de leurs têtes.

« Nom d’un chien ! C’est chez Zian ! dit l’un d’eux. Regardez ! Ça sort de la cheminée. »

En effet, par la large ouverture du toit des flammes courtes s’élevaient, des flammèches s’arrachaient et partaient à la dérive, chassées par le fœhn vers la plaine.

« C’est la Parisienne qui a dû faire du feu », lança la Stéphanie, le visage hargneux. Puis elle ajouta d’un ton de défi : « Venez, vous autres, on va lui faire la leçon ! »

La troupe des femmes bondit vers la ferme des Mappaz, avant que les hommes eussent rien décidé, s’engouffra dans le corridor d’entrée, ouvrit brutalement la porte de l’outa. La Stéphanie qui marchait en tête lâcha une bordée d’injures, fit quelques pas dans la grande pièce, suivie des autres mégères, et s’arrêta comme médusée par le spectacle qu’elle découvrit : Brigitte, assise par terre devant l’âtre, le regard lointain, le visage souriant, baigné par les reflets, jetait à brassées du bois sec dans le foyer, activant la flamme.



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