Les nouvelles nourritures terrestres by Gide André

Les nouvelles nourritures terrestres by Gide André

Auteur:Gide, André [Gide, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Bibliothèque d'Onega - lien privé -
Publié: 2011-10-14T22:00:00+00:00


LIVRE TROISIÈME

I

C’est vers la volupté que s’efforce toute la nature. Elle fait croître le brin d’herbe, se développer le bourgeon et le bouton s’épanouir. C’est elle qui dispose aux baisers des rayons la corolle, invite aux noces tout ce qui vit, l’obtuse larve à la nymphose et de la prison chrysalide fait s’échapper le papillon. Guidé par elle, tout aspire au plus grand bien-être, à plus de conscience, au progrès… C’est pourquoi j’ai trouvé plus d’instruction dans la volupté que dans les livres ; pourquoi j’ai trouvé dans les livres plus d’obscurcissement que de clarté.

Il n’y eut là délibération ni méthode. C’est inconsidérément que je plongeai dans cet océan de délices, tout surpris d’y nager, de ne m’y sentir pas engloutir. C’est dans la volupté que prend conscience de soi tout notre être.

Tout cela se passa de résolution ; c’est tout naturellement que je m’abandonnai. J’avais bien entendu dire que la nature humaine est mauvaise, mais je souhaitais l’éprouver. Au demeurant je me sentais moins curieux de moi que d’autrui, ou plutôt : le désir charnel travaillait sourdement vers une confusion charmante, et me précipitait hors de moi.

La recherche d’une morale ne me paraissait pas très habile, ni même possible, aussi longtemps que je ne savais point qui j’étais. Cessant de me chercher, c’était pour me retrouver dans l’amour.

Il fallait, pour un temps, accepter le rejet de toute morale et ne résister plus aux désirs. Eux seuls étaient capables de m’instruire. J’y cédai.

RENCONTRES

OH ! me disait ce pauvre infirme… ne fût-ce qu’une fois ! Pouvoir une fois enlacer de mes bras « qui que ce soit pour qui je brûle », ainsi que dit Virgile… Il me semble qu’après avoir connu cette joie, je me résignerais plus facilement à n’en plus jamais goûter d’autres ; que je me résignerais plus facilement à mourir.

– Cette joie, malheureux ! lui dis-je, pour l’avoir une fois goûtée, tu ne la souhaiterais que bien davantage. Si poète que tu puisses être, l’imagination, en ces sortes de choses, tourmente moins que ne le fait le souvenir.

– Penses-tu me consoler ainsi ? reprit-il.

*

Et pourtant, que de fois, sur le point de cueillir une joie, m’en suis-je soudain détourné comme aurait pu le faire un ascète.

Il n’y avait point là renoncement, mais une expectation si parfaite de ce que cette félicité pouvait être, une anticipation si accomplie, que la réalisation ne pourrait plus en rien m’instruire, qu’il n’y avait déjà plus qu’à passer outre, sachant bien que la préparation d’un plaisir ne l’assure qu’en le déflorant et que le ravissement le plus exquis saisit l’être entier par surprise. Mais du moins avais-je su bannir de moi toutes réticences, pudeurs, réserves de la décence, hésitations timorées, qui font la volupté craintive et prédisposent l’âme aux remords après le retombement de la chair. J’étais tout habité par le printemps intérieur dont ne me paraissaient que des échos les reflets, toutes les éclosions, et les floraisons que je rencontrais sur ma route. J’ardais si fort qu’il me semblait pouvoir communiquer



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