Les Pôles - Une aventure française by Dominique le Brun

Auteur:Dominique le Brun [Brun, Dominique Le]
La langue: fra
Format: epub
Tags: det_, Histoire Maritime, Exploration
Éditeur: Tallandier
Publié: 2020-05-25T14:05:48+00:00

UN NAUFRAGE INÉVITABLE

Le Pourquoi Pas ? quitte Reykjavik le 15 septembre 1936 à 13 heures, avec une météo favorable. À 17 h 30, le cap Skagi, qui ferme la baie de Reykjavik à l’ouest, est doublé. C’est alors que le vent forcit brutalement jusqu’à atteindre la force 10, en s’orientant au sud-est, c’est-à-dire exactement droit sur l’étrave. Décision est prise de revenir au port. C’est dans une nuit d’encre quand le trois-mâts goélette commence à remonter vers Reykjavik. Dans l’obscurité totale et en l’absence de feu, l’estime devient douteuse. Enfin, le 16 septembre à 3 heures du matin, on aperçoit le feu d’Akranes, la pointe qui marque le nord de la baie de Reykjavik. Le Pourquoi Pas ? en évite de justesse les récifs et tente de remonter dans le vent pour ne pas être jeté à la côte. Mais la tempête se transforme en véritable ouragan, tandis que le courant de marée montante pousse le navire vers d’autres récifs : ceux du Borgarfjord. Vers la fin de la nuit, le gréement du mât d’artimon cède, et l’aube qui pointe révèle que le Pourquoi Pas ? s’est glissé au beau milieu de récifs sur lesquels la mer brise en rouleaux colossaux. Peu après 5 heures, le navire talonne. Il se couche sur tribord et les lames balaient le pont. Un homme est emporté sans qu’on puisse tenter quoi que ce soit pour le sauver. Les embarcations sont arrachées de leurs bers. Les récifs se rapprochent. On mouille les deux ancres, mais elles ne peuvent pas retenir le navire avant qu’il s’écrase sur les rochers et coule en quelques minutes. Malgré les gilets de sauvetage, ce sont des cadavres qui arrivent à la côte du côté d’Álftanes : tous sont morts de froid. On dénombrera quarante morts et un seul survivant.

En Islande où le Pourquoi Pas ? est bien connu, l’annonce du naufrage déclenche une émotion sincère à travers toute l’île et une foule immense se presse aux obsèques célébrées à la cathédrale de Reykjavik. Puis un bâtiment de la Marine nationale française emporte les cercueils à Saint-Malo où se déroule une veillée funèbre grandiose, prélude aux funérailles nationales à Notre-Dame de Paris, avec hommages du gouvernement et défilé militaire. Un décorum qui inspirera la réflexion suivante : « Si le Trésor avait consenti, pour rajeunir le Pourquoi Pas ?, le quart des sommes dépensées trop tard en funérailles, Charcot et tous ses hommes seraient encore là7. » Le naufrage de son navire emblématique n’interrompt pas pour autant l’exploration polaire française, tant les vocations suscitées depuis l’expédition en Antarctique sont ardentes.

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