Le grand contournement by Alexis Anne-Braun

Le grand contournement by Alexis Anne-Braun

Auteur:Alexis Anne-Braun [Anne-Braun, Alexis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Fayard
Publié: 2022-08-16T22:00:00+00:00


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Et ce qui était beau, et vraiment plein d’espérance, continue-t-elle, c’est que ce qui valait pour leurs corps valait aussi pour leurs biens et pour leurs cabanes – à l’époque où ils avaient encore des cabanes, dit-elle.

Au mois de mai, quelques dortoirs sommaires avaient commencé à remplacer les parterres de tentes Quechua qui faisaient la nique aux myosotis. D’ailleurs, ajoute Héloïse, on aurait pu faire un peu plus attention aux fleurs, surtout quand on se dit défenseurs de la nature. Et tous les quatre s’amusent, car, en effet, ils ont laissé le parc dans un drôle d’état, eux d’abord, les tronçonneuses, les pelleteuses et les foreuses ensuite, l’hiver enfin. Ils l’ont laissé dans un état de tristesse qui vous prend à la gorge, qui vous donne peut-être envie de vous enfermer toute une journée dans une salle à l’écart, emplie de sacs de couchage, de fumée et de l’élégie.

Alors, reprend Magali, on construisait collectivement la maison des autres, dans la sueur, la joie et l’insouciance. C’était un assemblage de bois, de clous, de bâches, de pneus et de fenêtres en PVC, de gaîté et de laideur ; rien de plus artificiel, au fond, qu’une hutte ou qu’une grande cabane dans les bois. Ils avaient renégocié la différence entre masculin et féminin, le mien et le tien, ils avaient donc aussi appris à se défaire d’une vision trop fantasmée de la vie sauvage, en bref d’une nature qu’on aurait pu opposer, sans médiation, à la civilisation. Et tout comme ils avaient expérimenté la puissance collective du « nous » entre celle, non moins opérante, du tien et du mien, ils avaient inventé dans les bois leur propre paysage, fait de boue et de bois, de clous et de plastique, d’odeur de sciure et d’odeur de champignon, d’odeur de déodorant et d’odeur de sève. Quand on y songe, on sent grandir à l’intérieur, quelque part près du cœur, une certaine foi dans le bricolage de l’humanité. Alors tant pis pour les fleurs qu’ils ont écrasées. « Pour ma part, dit-elle, je la laisse grandir, cette foi. » Elle ne voudrait surtout pas que l’automne et l’hiver ne l’emportent. Car, alors, c’est ce que l’automne et l’hiver emporteraient de plus précieux.

Le mode de vie, les gens qu’elle voyait, les choses qu’elle faisait, les livres qu’elle lisait, les orgasmes qu’elle avait, les engueulades aussi : bref, tout ça (et d’autres choses encore) l’a comblée. Est-ce que ce n’est pas galvanisant de tenir tête à l’État ? demande Magali. Et d’être admirée pour cela, non seulement par le maire de son village d’enfance, mais aussi par les agriculteurs qui l’ont vue grandir et qu’elle avait un moment cru bon de détester, parce qu’ils épandaient des pesticides et faisaient sauter la cervelle des hamsters, parce qu’ils avaient d’autres odeurs et d’autres intonations dans la voix. Admirée aussi par certains de ses anciens camarades de classe, auprès de qui, ajoute Félix, malgré la distance prise et le mépris de façade, on continue de chercher l’approbation jusqu’au Jugement dernier.



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