Le Dimanche des meres by Swift Graham

Le Dimanche des meres by Swift Graham

Auteur:Swift, Graham [Swift, Graham]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Gallimard
Publié: 2016-01-15T00:00:00+00:00


Le jour où elle avait craintivement soumis son audacieuse requête, Mr Niven avait réfléchi un bon moment avant de répondre : « Oui, bien sûr que vous pouvez, Jane. » La pause avait peut-être signifié qu’il permettait une inversion dans la hiérarchie de la maisonnée ou qu’il se posait simplement des questions d’ordre pratique : quand diable allait-elle lire tous ces livres avec le travail qu’elle devait accomplir ? Pendant son sommeil ? Il aurait pu s’étonner qu’elle sût lire, s’il n’en avait pas eu récemment la preuve.

Cette pause exprimait toutefois un consentement, voire de la bienveillance.

« Bien sûr que vous pouvez, Jane. »

Des mots magiques, le sésame tant espéré. Une réponse différente — « Voyons, Jane, pour qui vous prenez-vous ? » — l’eût brisée.

Celle-ci méritait l’une de ses plus belles révérences. Rien de moins.

« Mais vous devez d’abord me dire quel livre vous empruntez et, bien entendu, le rapporter.

— Bien sûr, monsieur. Merci infiniment, monsieur. »

Et elle se mit à emprunter de façon régulière des livres à la bibliothèque de Beechwood, guidée, encouragée par Mr Niven. En fait, la situation devint plus délicate en ce qui concernait Mr Niven quand il n’y eut plus d’ambiguïté quant au genre d’ouvrages qui l’intéressaient vraiment. À vrai dire, elle n’était pas attirée par Le Livre des martyrs de Foxe ni par les Vies des ingénieurs (en cinq volumes) de Smiles. Qui aurait eu envie de lire ça ?

« L’Île au trésor, Jane ? Pourquoi diable voulez-vous lire ça ? Voyons, c’est pour les garçons. »

En réalité, il ne fallait pas vraiment voir là une interrogation, mais plutôt l’expression de son étonnement, comme s’il était pris au dépourvu. Il aurait peut-être pu dire, avec force toussotements : « Pas ces livres-là, Jane. N’importe lesquels, mais pas ceux-là. »

Quant à son autre remarque… Eh bien, où étaient les livres pour filles ?

Cela lui était parfaitement égal. Des bouquins pour garçons, des récits d’aventures. Cela lui était parfaitement égal de ne pas lire des livres pour filles, quels qu’ils soient. Aventure. Ce mot surgissait souvent de la page, il lui faisait signe : « aventure ».

Même s’ils en avaient et le temps et les moyens, les Niven de Beechwood, ou ceux de leur espèce, ne semblaient pas le moins du monde aventureux, ni même ouverts à l’idée d’aventure. « Un jamboree à Henley. » Les bibliothèques paraissaient en elles-mêmes un rejet net et sec de l’aventure. Quoi qu’il en soit, celle de Beechwood abritait cette petite cachette pivotante, bourrée d’histoires qui, de toute évidence, avaient autrefois été dévorées, en doses contrôlées, avant le début d’une terne ou terrifiante maturité.

Mr Niven aurait pu dire : « Non, pas ces étagères-là, s’il vous plaît, Jane. » Mais il n’en avait rien fait.



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