Le cheval d'orgueil by Pierre Jakez Hélias

Le cheval d'orgueil by Pierre Jakez Hélias

Auteur:Pierre Jakez Hélias [Hélias, Pierre Jakez]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


IV

LA VIE DURE

« Les nations pauvres, c’est là où le peuple est à son aise ; les nations riches, c’est là où il est ordinairement pauvre. »

Destutt de Tracy.

Un jour d’hiver, c’est vers trois heures de l’après-midi par une lumière de purgatoire, ma mère a allumé un grand feu sur l’âtre pour essayer de sécher quelques hardes qui refusent de rendre leur eau dehors tant le vent est humide. Moi, je suis assis dans la cheminée sur un petit banc et je me repais de chaleur. Avec une vieille lame de couteau, je gratte le bas de mon pantalon que j’ai crotté ce matin même en patrouillant le diable sait où, mais j’avais sûrement quelque chose à faire en cet endroit, je le jure, quand ce ne serait que de siffler aux merles pour les faire enrager. Et les merles, savez-vous, trouvent toujours le moyen de vous attirer là où les sabots des vaches ont si bien trituré la boue qu’il faudrait une couche de fagots pour s’y aventurer. Et les fagots n’y sont pas souvent. Mais c’est assez parlé à mon bonnet. « Taisez-vous ! » dit soudain ma mère à son muet de fils. Par-dessus le crépitement des flammes, elle a saisi une rumeur qui court sur le quartier. Comment fait-elle ? La voilà qui gagne le pas de sa porte et revient aussitôt, toute rouge et affairée. — Qu’est-ce qu’il y a, mère ? — Restez-là ! Il ne faut pas faire honte aux gens. Et elle court au tiroir de la grande armoire. Elle y prend quelque chose qu’elle tient dans sa main fermée. Elle hésite un moment avant de cacher cette main sous son tablier et retourne sur son seuil. Moi, je monte sur l’appui de la fenêtre pour regarder par-dessus les rideaux.

Dehors, je vois s’approcher lentement un grand diable d’homme maigre, curieusement vêtu d’un pantalon de marin de l’État et d’un chupenn de drap qui a été bleu avant sa naissance, mais si usé qu’il n’en reste plus qu’une trame grisâtre. Aux pieds, des sabots tout neufs garnis de grosse paille et sur la tête un chapeau bigouden immense et privé de ses rubans. Il a sans doute une figure, mais, je ne sais pourquoi ni comment, elle est si effacée que le personnage a l’air d’un épouvantail en marche. Derrière lui s’avancent, plus lentement encore, comme si elles avaient peur ou honte, une femme et trois fillettes dont la plus grande doit avoir autour de sept ans. La plus petite est encore en bonnet, les deux autres sont habillées comme la mère de lourdes robes rapiécées qui leur tombent sur les sabots, de corselets sans velours ni couleur et de coiffes basses en toile brunie. La mère donne la main à ses deux aînées tandis que la benjamine s’accroche désespérément à son tablier de coton. Propres dans leurs haillons autant qu’on peut l’être, mais visiblement tombées sous une mauvaise planète. Elles s’arrêtent au milieu de la route et, immobiles, sans un mot, elles regardent vers la porte de notre maison.



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