Le Vous plaisantez, Monsieur Tanner by Jean-Paul Dubois

Le Vous plaisantez, Monsieur Tanner by Jean-Paul Dubois

Auteur:Jean-Paul Dubois [Dubois, Jean-Paul]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: L'Olivier
Publié: 2019-12-25T23:00:00+00:00


Désagréable

* * *

De tous les gens avec lesquels j’ai travaillé durant ce chantier, Goujon fut sans aucun doute le plus désagréable. Pas vicieux, ni tordu, ni malsain, ni branquignol, non, simplement déplaisant, par nature et à tous égards. Le maçon répondait à toute question par une sorte de grognement. Si celui-ci avait une tonalité ascendante, il fallait comprendre un oui. Si au contraire on percevait une inflexion plus basse cela signifiait que l’homme s’exprimait par la négative. Plus troublant encore, il émanait de Jean Goujon une sensation de vide, d’absence de conscience. C’est assez terrible à éprouver et à dire. Ce personnage est là, tout près de vous, et vous sentez très distinctement qu’il n’est habité par rien, qu’il ne désire ni n’espère rien. Même pas les cent cinquante euros quotidiens qu’il vous a réclamés. Il les a demandés parce que c’est la règle, parce qu’on lui a appris que dans la vie tout se paye, tout s’achète, tout se vend. Cet argent, il ne le veut même pas, il n’en a pas besoin. Il a tout. Si vous mouriez subitement à côté de lui, il rangerait sa pelle et, sans vous adresser un regard, rentrerait chez lui. Et s’il décédait à vos pieds, il n’espérerait de vous que le même traitement. Je pense sincèrement que Goujon n’a jamais éprouvé le moindre sentiment ni la plus petite émotion. Goujon est une sorte de végétal musclé qui roule en Mercedes.

Nous travaillâmes ainsi pendant quatre jours sans nous parler, ni échanger, ni ressentir quoi que ce soit. La dalle terminée, Goujon empocha sa paye et s’en alla sans me dire au revoir. Il entassa ses quelques affaires à l’arrière de sa voiture et démarra.

Au premier orage, je découvris que cette brute avait donné une pente négative à la dalle. L’eau s’écoulait vers la maison et inondait l’entrée de la cuisine. J’appelais Goujon pour lui faire part du problème.

– J’ai un ennui avec la dalle. Elle a une pente négative.

– Quoi ?

– Une pente négative. L’eau s’écoule vers la maison au lieu d’aller vers la cour.

– Fallait penser à ça sur le moment. Maintenant c’est trop tard.

Jean Goujon raccrocha et plus jamais je n’entendis parler de lui.



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