Terra incognita by Corbin Alain

Terra incognita by Corbin Alain

Auteur:Corbin Alain
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2020-01-14T08:48:36+00:00


Les abysses et la peur de l’ignoré

* * *

Revenir à l’étude des abysses, c’est continuer un chapitre de l’ignorance presque absolue ; à tel point que le livre magnifique de Jean-René Vanney devance le propos qui est le nôtre car il déroule, en fait, une histoire de l’ignorance, qu’il ne cesse de revendiquer. Comme nous l’avons vu à propos d’autres domaines, les individus qui vivaient en 1850 n’en savaient guère plus sur les profondeurs marines que leurs prédécesseurs de l’extrême fin du XVIIIe siècle. Les mythes, les légendes, les rêves de profondeurs que nous avons évoqués dans un précédent chapitre demeurèrent longtemps ancrés dans les mémoires et les imaginations, ainsi que les schèmes qui définissaient les profondeurs marines. À l’aube du XIXe siècle, ils inspiraient plus que jamais ce que Jean-René Vanney qualifie de « peur de l’ignoré », de ce qui se situe hors de l’univers mental des contemporains. Puis, à partir des années 1850, une « autre planète » commença avec la pose des premiers câbles.

Cela dit, quelque minime que fût le retrait de l’ignorance, il faut distinguer deux périodes. La première, qui s’étend de 1800 à 1830, correspond, on le sait, à l’acmé de l’emprise du romantisme. Des artistes, tout à la fois naturalistes, botanistes, écrivains, initièrent l’opinion, cette fois, à la curiosité des profondeurs en transmettant l’inquiétude qu’elles suscitaient1. La génération des poètes allemands de ce temps, tels Goethe, Schelling, Novalis, ont apporté aux abysses tout un courant d’idées, d’images et d’émotions inédites. Pour le bien comprendre, rappelons que le romantisme « a balisé le chemin mystérieux qui mène à la connaissance de l’intérieur de soi ». Or, entre le fond de l’âme et l’abîme, une parenté alors s’instaura qui bénéficiait à « l’abyssibilité » fantastique, à la promotion d’une « sensibilité verticale », pour reprendre une formule de Gaston Bachelard. Cela conduit Jean-René Vanney à conclure que « les coups de sonde dans les arcanes abyssaux et mentaux ont procédé d’un même mouvement2 » – mais les réussites ont été bien moindres en ce qui concerne les profondeurs marines.

En effet, les apports que nous qualifierons abusivement de scientifiques furent minimes en ce domaine, entre 1830 et 1850. Les marins sondaient alors la mer sans relâche. Le plus souvent, le câble filé se révélait trop court. Cela dit, ces manœuvres conduisaient à relever, comme naguère, des profondeurs de plus en plus grandes. Des navires russes en détectèrent une de mille mètres dans le Pacifique, puis l’explorateur polaire James Clark Ross sonda jusqu’à deux mille mètres et Sabine à deux mille sept cents mètres. Surtout, Scoresby releva, en Norvège, par une latitude de 76° nord et à une longitude de 4° 5´ est, une profondeur marine de quatre mille mètres. En bref, les abysses semblaient s’approfondir au fil des mesures, et les savants n’étaient pas en reste : Jean-François d’Aubrisson de Voisin assurait alors qu’il existait des fonds à une profondeur de trois mille six cents mètres.

Dans le même temps, certains navigateurs s’efforçaient de recueillir des fragments de grands fonds à l’aide d’un instrument qualifié de « pincette de mers profondes ».



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.