L'auberge de l'Ange-Gardien by Comtesse de Ségur

L'auberge de l'Ange-Gardien by Comtesse de Ségur

Auteur:Comtesse de Ségur [Ségur, Comtesse de]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-12-14T13:34:56+00:00


abord, assommant à coups de fouet un petit

garçon à demi déshabillé, qui se tordait et

rugissait sous l’étreinte et les coups de l’homme ;

chaque coup marquait sur la chair une trace

livide.

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Moutier se jeta sur l’inconnu, lui arracha le

fouet des mains, le repoussa violemment et allait

le frapper, quand lui-même faillit tomber de

surprise : l’homme était le général, l’enfant était

Torchonnet. Le général, ne voyant pas revenir

Moutier et devinant une trahison, était sorti

doucement de l’auberge, avait été au presbytère,

où il trouva Torchonnet dans la salle. Le général

s’était armé de son fouet à chiens ; il ne dit rien,

mais ses yeux lancèrent des flammes quand il vit

Torchonnet, rempli d’espoir, approcher

mielleusement de lui en l’appelant son cher

général. Il se jeta sur lui, lui arracha en moins

d’une minute ses vêtements, ferma la porte à

double tour, et commença à lui administrer le

knout avec une vigueur qui provoqua les

hurlements du coupable.

Lorsque Moutier arrêta le supplice de

Torchonnet, le général demanda à ce dernier s’il

savait à présent ce qu’était le knout. Torchonnet

continuait à hurler et à se rouler dans l’excès de

sa souffrance. Moutier, dans la salle, et le curé,

en dehors à la fenêtre, restaient immobiles, ne

sachant quel parti prendre. À mesure que la

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colère du général se dissipait, la honte semblait le

gagner. Lui aussi restait à la même place, sans

faire un mouvement, sans dire une parole.

Moutier fut le premier qui parla :

« Monsieur le curé, ayez la bonté de

m’envoyer votre bonne ; je vais ouvrir la porte de

la salle ; cet enfant a besoin de secours.

LE CURÉ.

Je vais revenir moi-même avec elle, mon ami.

Il faut à ce garçon un pansement sérieux ; nous

allons le couvrir de vin et d’huile, le baume du

Samaritain de l’Évangile. »

Moutier alla ouvrir la porte ; ni lui, ni le curé,

ni la bonne ne firent attention au général, qui

paraissait de plus en plus honteux et embarrassé.

La bonne et Moutier emportèrent Torchonnet

dans sa chambre. Le général arrêta par le bras le

curé qui les suivait.

« Monsieur le curé, je vous donnerai dix mille

francs pour ce voleur », dit-il à voix basse.

Le curé lui jeta un regard sévère. « L’argent ne

rachète pas le mal, Monsieur ; il ne paye pas la

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souffrance.

LE GÉNÉRAL.

Mais que voulez-vous que je fasse ?

LE CURÉ.

Rien, Monsieur ; personne ne vous demande

rien ; il fallait vous abstenir de ce que vous avez

fait. Maintenant, vous ne pouvez que demander

pardon à Dieu de votre violence et la réprimer à

l’avenir.

LE GÉNÉRAL.

Monsieur le curé, ne me regardez pas avec des

yeux si sévères ; ils me troublent la conscience et

le cœur. Je ne suis pas méchant, je vous assure,

seulement un peu trop vif.

LE CURÉ.

Pas méchant, Monsieur ? un peu trop vif ?

quand vous assommez cruellement un enfant trop

faible pour vous résister ? Je vous le répète,

Monsieur, demandez pardon à Dieu ; je n’ai pas

d’autre conseil à vous donner. »

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Et le curé sortit, laissant le général plus abattu

que fâché.

« Sot que je suis ! murmura-t-il. Les voilà tous

contre moi. Je l’ai frappé fort, c’est vrai ! Mais

aussi, quel scélérat que ce petit gredin !... Ce qui

me met hors de moi, c’est son idée fixe, sotte,

absurde, de se faire adopter par moi.



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