Histoires de la fin des temps by Collectif

Auteur:Collectif [Collectif]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF (nouvelles)
ISBN: 2253025801
Éditeur: Livre de Poche
Publié: 1983-04-01T16:29:52+00:00

« Voyez-vous, dit Hoge, le médecin, nous présumons que son esprit a été conditionné, mais cela ne nous avance guère. Les conditionneurs experts sont trop nombreux en Karhaïde, et d’ailleurs aussi en Orgoreyn. Ce ne sont pas des criminels sur qui la police peut avoir barre, mais de respectables mentalistes ou médecins. Et qui peuvent se procurer les drogues légalement. S’ils voulaient tirer d’elle quelque chose, ils ont sûrement, car c’est l’enfance de l’art, créé un blocage interdisant au sujet toute perception rationnelle de leurs manœuvres. Tout indice a été effacé, toutes les suggestions-déclics oblitérées, et nous n’avons aucune idée des questions à poser. Nous n’avons aucun moyen, si l’on veut éviter la destruction du cerveau, de réaliser une exploration complète de son esprit ; même sous hypnose ou sous l’effet de drogues fortes il serait maintenant impossible de distinguer de ses idées ou émotions autonomes celles qui lui ont été implantées. Peut-être les Extra-Géthéniens pourraient-ils obtenir un résultat, mais je doute que leurs mentalistes soient aussi forts qu’ils s’en vantent ; en tout cas ils sont inaccessibles. Il ne nous reste qu’un seul espoir réel.

— C’est-à-dire ? demanda le seigneur Gérer avec flegme.

— Le roi est vif et résolu. Il est possible qu’au premier stade de la manipulation destructive qu’elle a subie, elle ait été consciente de ce qu’on lui infligeait et se soit ménagé une issue salvatrice en opérant un blocage ou une résistance. »

La voix basse de Hoge semblait perdre de son assurance. Il se tut, et le silence se fit dans la haute pièce rouge et sombre. Le vieux Gérer, tout de noir vêtu, immobile devant le feu, lui opposait un froid silence.

La température de cette salle du palais royal d’Erhenrang était de douze degrés là où se tenait le conseiller Gérer, et de cinq degrés entre les deux cheminées ; il neigeait faiblement ; c’était une journée douce car le thermomètre ne marquait que quelques degrés au-dessous de zéro. C’était le printemps sur Nivôse. À chaque extrémité de la pièce ronflait un feu rouge et or qui dévorait des bûches grosses comme la cuisse. Ce faste, ce luxe sévère, cette splendeur fugace, les feux de cheminée, les feux d’artifice, les éclairs, les météores, les éruptions volcaniques, tout cela flattait le goût des Karhaïdiens sur ce monde appelé Nivôse. Pourtant, abstraction faite des colonies arctiques situées au-delà du 35e parallèle, jamais ils n’avaient installé le chauffage central dans aucun édifice au cours des nombreux siècles de leur Ere technologique. Le confort leur était mesuré ; ils l’accueillaient comme un don d’autant plus apprécié qu’on ne l’a pas recherché – comme la joie.

La camériste du roi, assise à son chevet, se tourna, sans mot dire, vers le médecin et le Grand Conseiller. Côte à côte ils traversèrent la pièce. Le large lit dur du roi, haut perché sur ses colonnes dorées, encombré de luxueux manteaux et couvre-lits rouges, élevait le corps du roi presque au niveau de leurs yeux. Gérer y voyait un navire, immobile dans un

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