Tome 2 by Auteur inconnu

Auteur:Auteur inconnu
La langue: fra
Format: epub

Chapitre 22

Je vous en prie, ma sœur, donnez-moi une heure seulement. Sœur Sainte-Clothilde semblait hésiter. Il n'était pas dans la politique de la maison de laisser les futures mères sortir pour circuler en toute liberté dans les rues de Montréal. L'un des buts de l'institution consistait justement à les protéger du péché en les empêchant de retourner dans le monde, ce lieu de perdition. De plus, mieux valait soustraire aux regards leur taille arrondie susceptible de provoquer le scandale et des jugements téméraires chez les bien-pensants. Combien de filles-mères, à leur arrivée, avaient attendu la noirceur pour sonner à l'hôpital ou s'étaient présentées piteusement à la porte de côté afin que personne ne les reconnaisse...

Au nom de quoi la directrice, prompte au soupçon, accorderait-elle à cette demoiselle Laurin la permission d'aller exhiber son péché sur les trottoirs de Montréal? Les vraies mères de famille, elles, restaient à la maison quand elles se trouvaient « en famille ». Au lieu de suivre le règlement comme les autres, de méditer et de se mortifier, cette jeune capricieuse désirait aller «prendre l'air» ! Quel air ? La religieuse se le demandait. Marguerite avait-elle un but précis ? Aurait-elle par hasard réussi à se ménager un rendez-vous clandestin? Une rencontre avec le père de son bébé ou un autre homme ? Ou peut-être avait-elle projeté une activité particulière ?

Visite des magasins? Rencontre amicale? Flirt? Ou, pire, avortement ou même suicide ?

— Je vous le jure, ma sœur, je n'ai aucune intention malsaine. Je voudrais simplement aller marcher pour prendre le pouls de cette ville que je ne connais pas. Voir du monde, quoi !

Marguerite faillit préciser qu'elle avait envie de voir du monde normal. Elle en avait assez des pénitentes larmoyantes, des sœurs crispées et des Madeleines déprimées par le cul-de-sac dans lequel elles allaient végéter pour le reste de leur vie. Mais elle se retint de livrer le fond de sa pensée à la religieuse à l'air sévère qui marchait de long en large dans son bureau en faisant virevolter son chapelet à chaque tournant.

— Je n'ai pas besoin de me cacher, ma sœur. Je ne connais pas âme qui vive à Montréal, et personne ne pourrait me reconnaître dans la rue. D'ailleurs, je m'en fiche un peu, si vous voulez savoir !

— Vous ne ressentez donc pas de honte à afficher votre péché ? Le Seigneur n'a-t-il pas dit: «Si ton œil te scandalise, arrache-le» ? Alors, cachez-vous, pour l'amour du ciel, au lieu d'horrifier les autres !

— Oui, j'ai péché, ma sœur, mais Dieu m'a pardonné. Écoutez, je suis venue ici de mon plein gré, pourquoi n'aurais-je pas le droit de sortir de temps à autre? Un hôpital n'est pas une prison, que je sache ! Il ne m'arrivera rien et je ne ferai rien de mal, soyez sans crainte. Je veux uniquement me promener près de l'hôpital, vous pouvez me faire confiance.

— Qui me dit que vous n'irez pas rencontrer votre amoureux? Ou acheter de l'alcool, que sais-je...

— Je n'ai pas d'amoureux et je déteste l'alcool, grâce à mon père.

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