La montagne est jeune by Suyin Han

La montagne est jeune by Suyin Han

Auteur:Suyin, Han [Suyin, Han]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature anglophone, Littérature chinoise
Éditeur: Stock
Publié: 1959-07-09T22:00:00+00:00


Bien des fois, pendant ces premiers jours, ces premières nuits, Anne devait ressasser ses scrupules, les disséquer plus ou moins longuement, tournant en rond comme un félin qui va frôlant de l’épaule les grilles de fer de sa cage. Mais, tandis qu’elle se heurtait aux barrières des « je devrais » et des « il fallait », elle savait bien qu’en réalité elle cherchait de nouvelles raisons, aussi clairement formulées que l’étaient les objections, pour continuer d’appartenir à Unni Menon.

Quand elle était tout à fait lucide (du moins l’imaginait-elle), son esprit s’acharnait à l’analyse, s’efforçait de découvrir des points faibles dans leurs relations, de trouver dans leurs mobiles et leurs intentions l’imparfait et l’impur, d’interroger l’avenir avec une logique froide et rationnelle.

« C’est seulement parce que je mourais de faim, lui lança-t-elle (alors qu’elle venait de s’anéantir dans un paroxysme de sensualité dont elle ne se serait jamais crue capable), c’est tout simplement parce que j’avais envie d’un homme, j’ai été trop longtemps privée.

— Certainement, dit Unni. Mais alors, pourquoi m’avoir attendu, moi ? Quoi que puisse penser ton ami Leo, nous ne faisons pas l’amour, toi et moi, uniquement pour une question de glandes. Sinon, Leo pourrait être ici à ma place. Ou bien Ranchit. »

Contre cette foi toute simple, elle épuisait les arguments et, de même que son corps se transformait, fleurissait, s’épanouissait, comme si sa chair était repétrie, sa beauté façonnée à nouveau dans les bras d’Unni, ainsi ces préoccupations obsédantes finirent-elles par s’évanouir. Un soir, elle ne trouva plus rien à dire et elle éclata de rire.

« Je suis lasse de lutter, de m’efforcer d’exprimer par des paroles tout ce que j’éprouve ! Que j’aie tort ou raison, Unni, je t’en prie, veille sur moi.

— Je te le promets.

— Si John demandait le divorce, m’épouserais-tu ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Est-ce la peinture qui donne au bois de charpente sa solidité ? Tu as besoin de te reposer du mariage. Je vivrai avec toi, je te resterai attaché, je serai à toi. Peut-être t’épouserai-je au bout de deux plans quinquennaux, mais pas avant ! »

Anne riait, elle savait qu’il avait raison, mais elle n’était pas entièrement convaincue. Serait-elle capable de dire bravement, fièrement : « J’aime cet homme », sans être d’abord enchaînée à lui dans les formes normales, légales ? Pourtant l’idée du mariage était liée pour elle de façon déplaisante à la répulsion physique que lui inspirait John. La réalité c’était Unni, et surtout la découverte de son corps et du pouvoir sensuel qu’il possédait, c’était le plaisir qu’elle donnait et recevait, inconnu jusqu’alors et devenu une révélation fascinante. Cela c’était solide, réel, éclatant, c’était le monde de la substance auquel le monde des mots ajoute ses interprétations, ses déformations et ses émotions conditionnées.

« Je crois que je m’égare dans des subtilités. Des “verbalismes”, comme disaient les Américains.

— Je crois que oui, Anne. Ne cherchons pas, à l’exemple des dieux, à être toujours dans le vrai. »

Ainsi, dans les bras d’Unni, Anne partit lentement, à tâtons, à la recherche d’elle-même, alors même qu’elle demeurait encore incrédule.



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