La fin d'un primitif by Chester Himes

La fin d'un primitif by Chester Himes

Auteur:Chester Himes [Himes, Chester]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard


VIII

À son retour du magasin où il était allé acheter du Bourbon, Jesse s’arrêta chez le gérant et lui demanda les clés de la cave dans laquelle il avait rangé ses malles. Parmi les épaves de la literie conjugale, il prit deux couvertures, quatre draps et quatre taies. Pour ne pas songer à Becky, il s’amusa à inventorier tout le bric-à-brac de vieilles valises, meubles brisés, landaus d’enfant à une roue ou sans roues du tout, qui encombrait la cave.

Quand il rendit les clés, le gérant lui demanda :

— Leroy ne vous donne donc pas de literie ?

— Certainement si, mais celle-ci est destinée à un ami.

— Vous vous mettez en ménage ?

— Je pense plutôt à déménager.

— Ne faites pas ça, dit le gérant en riant. Vous avez la bonne place. Tout le monde s’intéresse à vous.

— C’est plutôt vous qui avez la bonne place, vous vous intéressez à tout le monde. Je m’en aperçois en vous voyant errer de-ci de-là, à l’insu de tous.

— J’erre aussi dans votre direction.

— En approchant trop près vous risquez de vous faire trancher la gorge.

Leroy promenait ses chiens, aussi Jesse traversa-t-il le vestibule sans subir l’attaque de Napoléon. Il trouva sur sa commode une lettre dans laquelle Hobson lui demandait un entretien. L’appareil était dans la chambre de Leroy, il s’y rendit pour téléphoner, et l’éditeur lui donna rendez-vous pour trois heures de l’après-midi, le jour même.

Cette convocation agita Jesse. Le sort de son livre — et le sien par contrecoup — dépendait de l’entretien qu’il aurait cet après-midi. Mais, le monde s’obscurcissant autour de lui, ce souci était assez estompé dans sa conscience. En soupirant, il se versa un demi-verre de mauvais bourbon à bon marché et l’avala en se faisant la grimace dans le miroir. « M… ! Quelqu’un a p… dans cette bouteille ! » grogna-t-il. Un instant plus tard il dit d’une voix raisonnable : « Inutile de me tracasser, mon destin est dans les mains des dieux. »

Son agent avait soumis le manuscrit à un éditeur que Jesse n’avait vu qu’une seule fois. « Il avait bien l’air d’un cul, dit-il, mais, que diable ! les autres ont à peu près tous ce même aspect. »

Il retira son veston et sa chemise pour se raser. Puis, avec un sourire railleur, il songea : « Il faut que je me lave tout le blanc qui me colle à la peau. Ce sera plus prudent. »

Il se déshabilla entièrement. Dans cette maison, l’eau chaude était toujours brûlante. Tout en laissant la baignoire se remplir jusqu’au trop-plein, Jesse songea : « Mariol le gérant ! C’est pas lui qui paie le charbon. » Puis il s’allongea dans l’eau dont la température aurait permis d’ébouillanter une volaille pour la plumer. « Ce gérant n’est pas nègre ! s’exclama-t-il en riant. Comment ose-t-il dépenser le charbon des blancs pour que les nègres puissent se baigner ? En tout cas ce n’est pas un nègre américain, peut-être un Mau-Mau ou un Russe peint en noir.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.