Escal-vigor by Georges Eekhoud

Escal-vigor by Georges Eekhoud

Auteur:Georges Eekhoud [Eekhoud, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2011-01-14T23:00:00+00:00


III

En prodiguant les attentions à son entourage et à la communauté, Kehlmark redoublait de prévenances à l’égard de Landrillon. Il le traitait avec plus de bonhomie que jamais, affectant de prendre un regain de plaisir à ses charges de corps de garde.

Mais le coquin n’était point dupe de cette ostentation de bienveillance. Sans rien en montrer, il n’avait point tardé à prendre ombrage de l’influence du petit Guidon Govaertz sur Henry de Kehlmark, et peut-être surprit-il une vague lueur – rien ne rend plus perspicace que l’envie – de l’étendue de l’affection que se portaient ces deux êtres. Qu’on s’imagine le sentiment de basse compétition d’un pitre qui voit le succès et la vogue l’abandonner pour aller à un comédien plus grave et d’un genre plus relevé, et on se représentera le mauvais gré sourd et recuit que le cocher devait entretenir contre ce petit paysan.

Kehlmark prenait presque toujours Guidon avec lui dans ses promenades en voiture, et c’était Landrillon qui les conduisait. Lors d’une excursion qu’ils firent à Upperzyde, pour visiter les musées et revoir le Frans Hals, le jeune Govaertz partagea l’appartement du maître, tandis que Landrillon fut relégué dans les galetas sous le toit. Bien plus, le domestique était forcé de servir à table ce va-nu-pieds, ce polisson, autrefois la risée et le souffre-douleurs des manouvriers de Smaragdis et à présent, bouffi d’importance, dorloté, choyé, devenu l’inséparable de monsieur. Dire que ce grand seigneur semblait ne plus pouvoir se passer de la compagnie de ce méchant galopin qui lui gaspillait de beau papier, de coûteuse toile et de bonnes couleurs !

Si le larbin n’avait rêvé de devenir l’époux de Blandine, peut-être eût-il été plus indisposé encore contre ce maudit pastoureau. Jusqu’à un certain point, le domestique n’était-il même pas fâché de l’importance exclusive que le jeune Govaertz prenait dans la vie du comte. Landrillon se promettait bien d’exploiter au moment opportun cette intimité des deux hommes pour détacher Blandine de son maître. Négligée et même délaissée par Kehlmark, la pauvre femme ne se montrerait que plus disposée à écouter un nouveau galant.

Profitant d’un moment où Blandine était descendue à la cuisine pour y vaquer à quelque besogne ménagère, Landrillon se hasarda un jour à lui faire sa déclaration :

– J’ai quelques petites économies, proféra-t-il, et s’il est vrai que la vieille vous ait laissé une part de son magot, nous ferions un gentil couple, dites, qu’en pensez-vous, mamzelle Blandine ?… Car si vous êtes jolie à croquer, convenez qu’il en est de plus mal tournés que moi. Pas mal de gaillardes de votre sexe se sont d’ailleurs ingéniées à me le persuader ! ajouta le séducteur en se tortillant la moustache.

Très ennuyée par cette déclaration, Blandine déclina froidement et avec dignité l’honneur qu’il voulait lui faire en se dispensant même de lui donner le moindre motif de ce refus.

– Ouais, mamzelle ! Ce n’est point là votre dernier mot. Vous réfléchirez. Sans me vanter, des épouseurs de mon poil, des galants pour le bon motif ne se rencontrent pas tous les jours.



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