Dakota Song by Ariane Bois

Auteur:Ariane Bois [Bois, Ariane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: THRILLER
Publié: 2017-04-15T04:00:00+00:00

Becky

* * *

Becky embrasse la cour du regard. Shawn n’est pas là. La grève, bien entendu. Il avait l’air d’un gosse quand il lui avait annoncé sa participation, comme s’il ne se sentait pas légitime pour cesser le travail comme les autres, à cause de son quartier, de son jeune âge, de ses relations parfois tendues avec certains membres du personnel. Le portier revenait fréquemment chez elle, toujours en l’absence de son mari qui n’aurait pas apprécié. Elle se souvient encore de sa dernière visite, celle qui a vraiment scellé leur entente. Tout avait commencé par de banals pièges à rats. Les immeubles les plus surveillés n’échappaient pas aux rongeurs. Une vraie plaie ! Un million de rats dans la ville. La faute aux ordures, à la chaleur du métro. On prétendait qu’ils attaquaient les clochards et même les cadavres à la morgue. La dernière fois, au cinéma avec Chris, deux bêtes énormes se disputaient le pop-corn semé par les spectateurs !

Puis la conversation avait roulé par hasard sur l’amitié et là…

— Je crois qu’on ne peut avoir qu’un seul véritable ami, avait-il expliqué gravement. Moi, en tout cas.

— Enfin, Shawn, vous n’avez que vingt-quatre ans, s’était-elle amusée. J’espère que vous aurez plein de copains et… de copines !

À sa grande surprise, les yeux du garçon s’étaient noyés.

— Mon ami d’enfance est mort assassiné devant moi. Je n’ai rien pu faire pour le sauver.

Bouleversée par son chagrin, Becky s’était approchée, avait tapoté gauchement son épaule et offert son écoute. Les mots étaient sortis dans le désordre mais l’histoire l’avait glacée : pauvre gosse écrasé dans le métro ! Une pizza de nègre ? Comment pouvait-on même penser à une telle abjection ?

— J’ai perdu mes parents, avait-elle confié, s’étonnant de sa franchise. J’aurais dû me trouver avec eux sur le bateau. Je comprends votre peine.

Shawn avait soupiré, de ce soupir des survivants. Becky regardait ses pieds gigantesques, ses mains immenses. Si grand qu’il fût, le corps du jeune homme paraissait ne pas pouvoir contenir un tel chagrin.

Revenant au présent, Becky se concentre sur la réunion qu’elle a suscitée au bureau. Elle a préparé un petit laïus mais elle est tendue.

— J’irai droit au but. J’ai pu rencontrer Richard Goodings, il y a deux mois.

Le patron de la maison cesse de triturer son fameux stylo, celui qu’il place derrière son oreille, un tic légendaire dans le milieu.

— Comment êtes-vous entrée en contact avec lui ?

Goodings : deux prix Pulitzer, le National Book Award, des centaines de milliers de lecteurs. Il publiait depuis toujours chez Random, leur concurrent direct, et personne n’avait réussi à l’approcher. Il vivait reclus, tout à son œuvre, au nord de l’État de New York, à deux heures et demie de la cité, au milieu des sapins, dans un village joliment nommé Peace.

Becky préfère taire l’histoire de cette extraordinaire rencontre. Dans le métro, elle s’était trouvée nez à nez avec une liane brune aux traits de madone : Beverly, sa meilleure amie au lycée ! Après être tombées dans les bras l’une de l’autre, elles s’étaient raconté leurs vies depuis leur séparation.

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