Au coeur d'un été tout en or by Anne Serre

Au coeur d'un été tout en or by Anne Serre

Auteur:Anne Serre [Serre, Anne]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782715254466
Éditeur: Le Mercure de France
Publié: 2020-03-06T12:41:21+00:00


ROMPRE À MON TOUR

Il faisait déjà nuit quand le train entra en gare de Bonn. J’allais retrouver, trente ans après, Selma qui avait été ma grande amie de jeunesse. Notre amitié s’était défaite comme se défont souvent les amitiés, sans cause précise, parce que nos chemins bifurquaient. Je commençais à écrire, Selma était tombée amoureuse d’un musicien allemand, et alors que nos goûts et nos intérêts avaient été sinon communs du moins très proches entre dix-sept et vingt-deux ans, elle était allée de plus en plus vers ses centres d’intérêt à elle, qui étaient la musique, le mysticisme, la philosophie, tandis que j’étais allée de plus en plus vers le mien, qui était la littérature. La rupture avait cependant été un peu rude et elle était venue de Selma. Nous nous étions retrouvées dans un café parisien où elle m’avait annoncé qu’elle avait décidé de rompre avec moi et de suivre son chemin. Je crois qu’ensuite je l’oubliai, comme sans doute elle m’oublia, même si je découvris plus tard, en la revoyant, qu’elle avait eu du remords d’avoir rompu de cette manière un peu brutale et craint de m’avoir profondément blessée.

Je me souvenais de Selma comme d’une fille qui arrivant un jour en vacances chez mes grands-parents, était descendue du train avec un énorme bouquet de fleurs des champs. Je me souvenais aussi comme elle s’était amusée à torturer un garçon timide qui était amoureux d’elle, en jouant à l’embraser le plus possible pour finalement ne rien lui donner. Une autre fois, amoureuse à son tour, elle s’était déclarée en remplissant de pétales de roses la boîte aux lettres de l’homme qu’elle désirait sans savoir l’approcher. Je me souvenais qu’elle lisait Nietzsche avec passion, que son père était pasteur, et qu’elle était d’un absolutisme auprès duquel ma propre exigence paraissait tiède. Je me rappelais enfin une très abondante correspondance dès que nous étions séparées et des conversations infinies dès que nous étions ensemble. Quelque chose d’un peu étrange nous réunissait parfois : une certaine cruauté.

Un jour, furetant sur Google à la recherche de traces de tel ou tel ami d’autrefois, je tapai son nom sur le clavier et découvris qu’elle vivait à Bonn où elle vendait des icônes. Il y avait une adresse mail, j’écrivis, prudemment, demandant à ma correspondante si elle était bien la Selma que j’avais connue, mais son patronyme étant très singulier, j’étais à peu près sûre qu’il s’agissait d’elle. Elle me répondit aussitôt, il y eut un échange frénétique de longs mails pour donner des nouvelles biographiques, dissiper des malentendus, faire part des deuils (chez moi), des naissances (chez elle), des amours, des emplois. Et nous décidâmes de nous revoir. C’est moi qui irais à Bonn, qui irais vers elle, puisque c’était moi qui avais voulu la retrouver.

Quand je descendis du train, Selma m’attendait sur le quai avec un énorme bouquet, non pas de fleurs des champs cette fois, mais de roses. Et ce qui me frappa aussitôt, c’était qu’elle n’avait pas du tout changé. Trente



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