À l'insu de la nuit by Rosetta Loy

À l'insu de la nuit by Rosetta Loy

Auteur:Rosetta Loy [Loy, Rosetta]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2743614439
Éditeur: Rivages
Publié: 0101-01-31T23:00:00+00:00


Hôtel Paradis

L’hôtel s’appelait Paradis, devant il y avait une place carrée avec des arbres et des bancs en fer forgé, des petits rideaux de dentelle blanche étaient accrochés aux fenêtres. Un hôtel de seconde, troisième catégorie peut-être, avec des moineaux qui becquetaient sous les arbres et une entrée à demi obscure traversée par un tapis de toile grossière. « Je ne comprends pas ce que tu as à toujours le regarder », avait dit l’homme. Eux, ils étaient à l’Hôtel Régina et le garçon en particulier avait une belle chambre qui donnait sur le monument à Jeanne d’Arc, et chaque matin il pouvait manger des croissants encore chauds en regardant la pucelle d’Orléans étinceler dans le soleil.

Irene marchait devant et s’était penchée dans l’entrée, ses cheveux étaient courts et noirs et ses épaules étaient larges, tandis que le reste de son corps descendait en s’amenuisant dans sa robe de soie grise, les hanches à peine esquissées. Elle s’était retournée et lui avait souri. « Cent francs, avait-elle dit, la chambre pour deux coûte cent francs. » Elle se balançait sur ses talons et son regard se levait avec curiosité vers les petits rideaux de dentelle.

« Paradis », murmurait doucement le garçon ; et il sentait en même temps que son sourire le frôlait puis s’en allait, pour revenir encore une dernière fois tandis qu’elle s’approchait de son mari et posait la main sur son épaule dans un geste d’affection et de confiance. Ses yeux gris, d’une mélancolie impénétrable, suivaient à présent le vol des moineaux et elle parlait de la couleur du ciel de Paris, si changeant et si riche en nuances.

Ensuite ils avaient coupé par l’escalier qui arrive sur les boulevards et le garçon était resté derrière à lire les affiches de l’exposition des Invalides, en réalité pour la regarder descendre de cette démarche décidée, juvénile, les épaules droites. Et puis sur les dernières marches elle s’était retournée, impatiente. « Alors qu’est-ce que tu fais, tu ne viens pas ? »

La France se préparait à la guerre par une grande exposition sur la Sécurité nationale : sacs de sable et masques antigaz au milieu desquels était passé le président Daladier, rassurant. Une guerre pour la défense de la démocratie et de ses valeurs. « Inévitable ? » avait demandé le garçon, et prenant un casque pour la protection des civils il l’avait mis sur sa tête comme si c’était un chapeau melon. « Oh, n’employons pas ce mot… » L’homme avait regardé le garçon, tous ces cheveux qui débordaient de sous le casque : il ne trouvait pas du tout ça amusant. Elle au contraire, elle avait ri. Et puis elle s’était arrêtée. « Moi, tout ça me déprime, je m’en vais. — Où ça ? avait-il demandé — Là, dans les environs. » Le garçon avait remis le casque en place, d’un seul coup l’intérêt était tombé : et ce grand vent de liberté qu’il aurait dû respirer à Paris redevenait ce nœud coulant qui tantôt le tirait par-ci, tantôt le tirait par-là, le cœur battant.



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