La puissance des mouches by Salvayre Lydie

La puissance des mouches by Salvayre Lydie

Auteur:Salvayre, Lydie [Salvayre, Lydie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2013-11-24T23:00:00+00:00


12

Monsieur Jean, pourriez-vous me donner des cachets pour dormir ? Je n’ai pas fermé l’œil. C’est toutes les nuits la même chose. Je m’endors. J’entends un cri. Je m’éveille en sursaut. Une sueur glacée me colle aux draps. Je comprends alors que le cri vient de moi, car je sens encore, dans ma poitrine, la trace qu’il a creusée. Je me rendors péniblement. Je chavire dans un autre cauchemar. L’homme qui m’interroge avec des yeux cruels se met brusquement à tousser. J’ouvre les yeux. Je suis couché dans l’alcôve de mon enfance. Je reconnais ses murs aveugles, son oppressante étroitesse, et au-dessus du thermomètre en cuivre ciselé, la photographie agrandie de mes grands-parents maternels qui posent avec des gestes gourds près d’une automobile en carton-pâte le jour de la Santa Monserrat à Reus. Mon père et ma mère dorment sur le canapé du salon, dans l’ignorance de mes crimes. Une angoisse sans nom pèse sur tout mon corps. Je perçois alors la toux de mon voisin de droite. Je donne quelques coups sur la cloison. Tu ne dors pas ? Non. Moi non plus. Le son de sa voix m’apaise. Je vois le jour se lever à travers la fenêtre que je ne peux atteindre, et la nuit des questions, la nuit des morts et de l’effroyable, me quitter lentement et délivrer mon cœur. Je me sens plus léger. Je m’assoupis. Jusqu’à ce qu’un nouveau cri déchire le silence, le cri d’un prisonnier qui hurle de terreur devant le meurtre qu’il a commis, le cri d’un prisonnier qui se débat sur sa couche avec cet assassin qui lui ressemble et qui porte son nom.

Surtout l’hiver, monsieur Jean. Car l’hiver donne plus de pouvoir à la nuit. Et la nuit me fait peur, monsieur Jean. Depuis mon enfance la nuit me fait peur.

Vous aussi ? Vous avez peur du noir ? C’est ridicule, monsieur Jean, mais ce détail de vous m’attendrit. Je ne vous en aime que plus.

Je me demande bien quel est le con qui a parlé de nuit blanche.

Sûrement pas un insomniaque.

Vous souvenez-vous, monsieur Jean, de cette chanson de Johnny Halliday qui s’appelait Retiens la nuit ? Comment l’idée horrible de retenir la nuit peut-elle naître dans un cerveau humain ?

Pensez-vous qu’un jour proche des savants américains inventeront un procédé pour supprimer la nuit ?

Oui, je lis la nuit, naturellement.

Je lis contre la nuit.

Pour la détruire.

Et si un jour j’écrivais mon journal, comme vous m’y engagez, je l’écrirais contre la nuit. Pour la détruire. Et j’y insulterais la nuit. Je cracherais sur elle. Et je l’appellerais Manifeste contre la nuit.

Vous me demandez, monsieur Jean, si je saisis bien le sens de tout ce que je lis ? Votre remarque devrait me fâcher, mais je vais essayer de vous répondre avec la plus grande sincérité.

Il y a, bien entendu, un certain nombre de choses que je ne comprends pas dans les Pensées, et particulièrement les phrases latines. Lorsque Pascal écrit par exemple, parlant de Jésus-Christ, Bibite ex hoc omnes, je me demande vraiment à quoi il fait allusion.



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