Les Mots et les choses by Michel Foucault

Les Mots et les choses by Michel Foucault

Auteur:Michel Foucault
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072085833-88260
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-01-26T05:00:00+00:00


VI. L'UTILITÉ

L'analyse de Condillac, de Galiani, de Graslin, de Destutt correspond à la théorie grammaticale de la proposition. Elle choisit pour point de départ, non pas ce qui est donné dans un échange, mais ce qui est reçu : la même chose, à vrai dire, mais envisagée du point de vue de celui qui en a besoin, qui la demande, et qui accepte de renoncer à ce qu'il possède pour obtenir cette autre chose qu'il estime plus utile et à laquelle il attache plus de valeur. Les Physiocrates et leurs adversaires parcourent en fait le même segment théorique, mais dans un sens opposé : les uns se demandent à quelle condition – et à quel coût – un bien peut devenir une valeur dans un système d'échanges, les autres, à quelle condition un jugement d'appréciation peut se transformer en prix dans ce même système d'échanges. On comprend pourquoi les analyses des Physiocrates et celles des utilitaristes sont souvent si proches, et parfois complémentaires ; pourquoi Cantillon a pu être revendiqué par les uns – pour sa théorie des trois revenus fonciers et l'importance qu'il accorde à la terre – et par les autres – pour son analyse des circuits et le rôle qu'il fait jouer à la monnaie70 ; pourquoi Turgot a pu être fidèle à la Physiocratie dans La Formation et la distribution des richesses, et fort proche de Galiani dans Valeur et Monnaie.

Supposons la plus rudimentaire des situations d'échange : un homme qui n'a que du maïs ou du blé, et en face de lui, un autre qui n'a que du vin ou du bois. Il n'y a encore aucun prix fixé, ni aucune équivalence, ni aucune commune mesure. Pourtant si ces hommes ont ramassé ce bois, s'ils ont semé et récolté le maïs ou le blé, c'est qu'ils portaient sur ces choses un certain jugement ; sans avoir à le comparer à quoi que ce soit, ils jugeaient que ce blé ou ce bois pouvait satisfaire un de leurs besoins, – qu'il leur serait utile : « Dire qu'une chose vaut, c'est dire qu'elle est ou que nous l'estimons bonne à quelque usage. La valeur des choses est donc fondée sur leur utilité, ou ce qui revient encore au même, sur l'usage que nous pouvons en faire71. » Ce jugement fonde ce que Turgot appelle « valeur estimative » des choses72. Valeur qui est absolue puisqu'elle concerne chaque denrée individuellement et sans comparaison avec aucune autre ; elle est pourtant relative et changeante puisqu'elle se modifie avec l'appétit, les désirs ou le besoin des hommes.

Cependant, l'échange qui s'accomplit sur le fond de ces utilités premières n'en est pas la simple réduction à un commun dénominateur. Il est en lui-même créateur d'utilité, puisqu'il offre à l'appréciation de l'un ce qui jusqu'alors n'avait pour l'autre que peu d'utilité. Il y a, à ce moment-là, trois possibilités. Ou bien le « surabondant de chacun », comme dit Condillac73 – ce qu'il n'a pas utilisé ou ne compte pas utiliser immédiatement



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