La grande arpente des champs d’en bas by Marie & Joseph

La grande arpente des champs d’en bas by Marie & Joseph

Auteur:Marie & Joseph [Marie & Joseph]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 1985-02-14T23:00:00+00:00


XX

Le portail qu’a franchi le cambrioleur la veille est un honnête portail en fer, dont la peinture écaillée laisse apparaître l’orange terni du minium, entre deux longs murs aveugles. C’est dans une rue triste, qui sent l’humidité, la moisissure et les gravats. Des gravats, il y en a partout ; la façade d’un immeuble a été arrachée, et on voit les pièces mises à nu, avec de très vieux papiers peints en lambeaux et les puits noirs des cheminées. D’un tas de plâtras dans un coin émerge le bras rose et dodu d’un baigneur de celluloïd, tendu tout droit vers le plafond crevé ; on dirait un noyé de bandes dessinées s’enfonçant lentement dans des sables mouvants. Ça donne l’impression que les anciens habitants sont aussi là-dessous, engloutis dans les fondations. Devant le chantier, un grand panneau annonce la construction future d’une résidence de luxe ; il y aura des appartements de trois, quatre et cinq pièces, un espace vert, tout le confort moderne, et ça s’appellera Les Jardins de Tassigny. « Maréchal de Lattre de Tassigny », c’est le nouveau nom de là rue, qui avait été autrefois baptisée Rue Grande-Mère-de-Dieu, d’après les deux plaques émaillées vissées au coin d’un mur.

— Tu tiens vraiment à aller voir ce qu’il y a là derrière ? demanda Gabor en voyant Selve secouer la poignée rouillée du portail. De toute façon, vu que c’est fermé…

— Va falloir passer par-dessus, comme le type a fait, répondit distraitement Selve en mesurant l’obstacle du regard.

— Hé ! protesta aussitôt Gabor. C’est un coup à…

Selve avait déjà bondi, se hissait en force le long du vantail, sautait de l’autre côté. Gabor soupira, tira de sa poche un canif à lames multiples, en enfonça une dans la serrure, trifouilla un peu, et le portail céda.

— Tu vois, à force de s’occuper de jeunes délinquants, on apprend des trucs, expliqua-t-il à Selve ébahi en repoussant soigneusement le vantail entrebâillé. Mais qu’est-ce que tu me fais pas faire, espèce de Tintin à la manque ! Intrusion par effraction dans une propriété privée, ça peut aller chercher loin…

— Parce que tu crois que c’est une propriété privée, ça ?

Ils se trouvaient dans la cour d’un ancien cloître en ruine, sur laquelle s’ouvraient de hautes arcades en pierre courant sur toute la longueur des trois corps de bâtiments. La broussaille poussait sur tout le terre-plein, étouffant un vieil abricotier desséché et deux cerisiers envahis de lierre. Partout, il y avait des fragments de statues noyés dans l’herbe haute, des vierges de pierre au visage effacé, des saints rongés terrassant des dragons informes. Dans un angle, des débris de colonnade supportaient un chapiteau encroûté de terre, où une petite plante jaune fleurissait dans la bouche d’un diable ricaneur. Au centre de la cour trônait un authentique sarcophage qui avait dû servir d’abreuvoir et qui disparaissait à moitié sous une épaisse mousse verte. Ça ne ressemblait à rien. C’était une petite enclave monastique oubliée au milieu de la zone, un jardin hors du temps abandonné aux merles et aux chauves-souris, en attendant le pic des démolisseurs. Et



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.