Grammaire des civilisations by Fernand Braudel

Auteur:Fernand Braudel [Braudel, Fernand]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2018-08-15T04:00:00+00:00

Post-scriptum 1966

L’Indonésie a tenu la vedette au cours de ces dernières années. Les Pays-Bas, sous la pression des États-Unis, ont cédé le 30 avril 1963, l’Indonésie, la Nouvelle-Guinée Occidentale, l’Irian, qu’ils avaient essayé de défendre par la force des armes et sur le plan du droit international.

Les États-Unis ont cru ainsi se concilier un pays neutraliste, qu’ils avaient déjà puissamment aidé à travers l’O.N.U. et leurs propres programmes d’aide. Tout cet effort échoue à la suite de la constitution, sous l’égide britannique, du nouvel État de la Malaysia (Fédération de la Malaysia, du Nord-Bornéo, de Sarawak et de Singapour), le 8 juillet 1963. Les essais d’entente à l’amiable (conférence de Manille, 30 juillet-5 août 1963) échouent. Dès le 16 septembre de la même année, avec les manifestations anti-britanniques de Djakarta, commence la « politique de confrontation » avec la oealaysia, proclamée par le président Soekarno. La visite de Mikoyan (22 juin-2 juillet 1964), la participation au gouvernement du Parti communiste (prochinois) depuis le 5 août 1964, indiquent de gros changements de route. Enfin l’Indonésie quitte l’O.N.U., puis avec l’approbation de la Chine et de la Corée du Nord, menace de constituer une « O.N.U. révolutionnaire », cependant qu’elle se transforme elle-même en « démocratie nationale ». Mais cette évolution de l’Indonésie tourne court.

Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1965, une tentative de coup d’État d’une fraction de l’armée indonésienne suscite une réaction violente de la hiérarchie militaire qui, aux ordres des généraux de Nasutiom et Suharto, prend le contrôle de l’État. L’armée neutralise le président Soekarno et lui enlève tout pouvoir réel. Elle organise l’un des plus grands massacres de l’histoire au cours duquel périssent d’innombrables Indonésiens suspects de communisme : selon les estimations diverses il y eut de 200 000 à 500 000 morts. L’Indonésie, gouvernée par les militaires, rompt avec Pékin, et met fin à la lutte entreprise contre la Malaysia. Celle-ci, créée par la Grande-Bretagne pour limiter l’influence chinoise dans le Sud-Est asiatique, comprenait la péninsule malaise, Singapour, et deux territoires britanniques situés dans l’île de Bornéo, Sarawak et Sabah. Cette construction artificielle ne résiste pas à l’épreuve des luttes politiques et le 9 août 1965 Singapour fait sécession et proclame son indépendance. Le renversement politique survenu en Indonésie n’apporte sans doute dans cette région du monde qu’une trêve provisoire.

Ces événements ont leur poids sur les cases, si sensibles en ces régions, de l’échiquier mondial. De même au Vietnam du Sud et au Laos, troubles et tensions intérieurs rejoignent, dans une chronique difficile à suivre, les querelles latentes et ouvertes du monde ; les coups d’État qui se succèdent sans interruption au Vietnam sont le reflet de ces incertitudes internes dont on ne voit pas encore quelle issue elles entraîneront. Depuis le début de l’année 1965, la détérioration de la situation politique et militaire au Sud a amené les États-Unis à déclencher contre le Nord des opérations aériennes dont l’intensité a été croissante mais qui, en dépit de quelques pauses, n’ont guère apporté de solution au conflit.

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