Archéologie de la violence by Pierre Clastres

Archéologie de la violence by Pierre Clastres

Auteur:Pierre Clastres [Clastres, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-08-11T16:35:22+00:00


L’examen des faits ethnographiques démontre la dimension proprement politique de l’activité guerrière. Elle ne se rapporte ni à la spécificité zoologique de l’humanité, ni à la concurrence vitale des communautés, ni enfin à un mouvement constant de l’échange vers la suppression de la violence. La guerre s’articule à la société primitive en tant que telle (aussi y est-elle universelle), elle en est un mode de fonctionnement. C’est la nature même de cette société qui détermine l’existence et le sens de la guerre, dont on a vu qu’en raison de l’extrême particularisme affiché par chaque groupe, elle est présente d’avance, comme possibilité, dans l'être social primitif. Pour tout groupe local, tous les Autres sont des étrangers : la figure de l’étranger confirme, pour tout groupe donné, la conviction de son identité comme Nous autonome. C’est dire que l’état de guerre est permanent puisque avec les étrangers on a seulement un rapport d’hostilité, mis en œuvre effectivement ou non dans une guerre réelle. Ce n’est pas la réalité ponctuelle du conflit armé, du combat qui est essentielle, mais la permanence de sa possibilité, l’état de guerre permanent en tant qu’il maintient dans leur différence respective toutes les communautés. Ce qui est permanent, structural, c’est l’état de guerre avec les étrangers, qui culmine parfois, à intervalles plus ou moins réguliers, plus ou moins fréquemment selon les sociétés, dans la bataille effective, dans l’affrontement direct l’étranger est alors l’Ennemi, lequel engendre à son tour la figure de l’Allié. L’état de guerre est permanent, mais les Sauvages ne passent pas pour autant leur temps à faire la guerre.

La guerre comme politique extérieure de la société primitive se rapporte à sa politique intérieure, à ce que l’on pourrait nommer le conservatisme intransigeant de cette société, exprimé dans l’incessante référence au système traditionnel des normes, à la Loi ancestrale que l’on doit toujours respecter, que l’on ne peut altérer d’aucun changement. Par son conservatisme, que cherche à conserver la société primitive ? Elle cherche à conserver son être même ; elle veut persévérer dans son être. Mais quel est cet être ? C’est un être indivisé, le corps social est homogène, la communauté est un Nous. Le conservatisme primitif cherche donc à empêcher l’innovation dans la société, il veut que le respect de la Loi assure le maintien de l’indivision, il cherche à empêcher l’apparition de la division dans la société. Telle est, tant au plan de l’économique (impossibilité d’accumuler les richesses) qu’au plan de la relation de pouvoir (le chef est là pour ne pas commander), la politique intérieure de la société primitive : se conserver comme Nous indivisé, comme totalité une.

Mais on voit bien, d’autre part, que la volonté de persévérer dans leur être indivisé anime également tous les Nous, toutes les communautés : la position du Soi de chacune d’elles implique l’opposition, l’hostilité aux autres ; l’état de guerre est aussi durable que la capacité des communautés primitives à affirmer leur autonomie les unes par rapport aux autres. Que l’une s’en montre incapable, et elle sera détruite par les autres.



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