Apologie pour l’histoire ou métier d’historien by Marc Bloch

Apologie pour l’histoire ou métier d’historien by Marc Bloch

Auteur:Marc Bloch [Bloch, Marc]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Classiques des sciences sociales http://classiques.uqac.ca/
Publié: 1941-07-21T23:00:00+00:00


III. — Essai d'une logique de la méthode critique

La critique du témoignage, qui travaille sur des réalités psychiques, demeurera toujours un art de finesse. Il n'existe point pour elle de livre de recettes. Mais c'est aussi un art rationnel qui repose sur la pratique méthodique de quelques grandes opérations de l'esprit. Elle a, en un mot, sa dialectique propre, qu'il convient de chercher à dégager.

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Supposons que, d'une civilisation disparue, un seul objet subsiste ; qu'en outre, les conditions de sa découverte interdisent de le mettre en rapport même avec des traces étrangères à l'homme, telles que des sédimentations géologiques (car, dans cette recherche des liaisons, la nature inanimée peut avoir sa part). Il sera tout à fait impossible de dater ce vestige unique ni de se prononcer sur son authenticité. On ne rétablit, en effet, jamais une date, on ne contrôle et, en somme, on n'interprète jamais un document que par insertion dans une série chronologique ou un ensemble synchrone. C'est en rapprochant les diplômes mérovingiens tantôt entre eux, tantôt avec d'autres textes différents, d'époque ou de nature, que Mabillon a fondé la diplomatique ; c'est de la confrontation des récits évangéliques qu'est née l'exégèse. A la base de presque toute critique s'inscrit un travail de comparaison.

Mais les résultats de cette comparaison n'ont rien d'automatique. Elle aboutit, nécessairement, à déceler tantôt des ressemblances, tantôt des différences. Or, selon les cas, l'accord d'un témoignage avec les témoignages voisins peut imposer des conclusions exactement inverses.

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Il faut considérer d'abord le cas élémentaire du récit. Dans ses Mémoires, qui ont fait battre tant de jeunes cœurs, Marbot raconte, avec une grande abondance de détails, un trait de bravoure dont il se donne pour le héros : à l'en croire, il aurait, dans le nuit du 7 au 8 mai 1809, traversé en barque les flots démontés du Danube, alors en pleine crue, pour enlever sur l'autre bord quelques prisonniers autrichiens. Comment vérifier l'anecdote ? En appelant à la rescousse d'autres témoignages. Nous possédons les ordres, les carnets de marche, les comptes rendus des armées en présence ; ils attestent que, durant la fameuse nuit, le corps [p. 53] autrichien, dont Marbot prétend avoir trouvé les bivouacs sur la rive gauche, occupait encore la rive opposée. De la Correspondance même de Napoléon, il ressort, par ailleurs, que le 8 mai, les hautes eaux n'avaient pas commencé. Enfin on a retrouvé une demande de promotion établie le 30 juin 1809, par Marbot en personne. Parmi les titres qu'il y invoque il ne souffle mot de son soi-disant exploit du mois précédent. D'un côté, voilà donc les Mémoires, de l'autre, tout un lot de textes qui les démentent. Il convient de départager ces irréconciliables témoins. Quelle alternative jugera-t-on la plus vraisemblable ? Que sur le moment même, les états-majors, l'Empereur lui-même, se soient trompés (à moins que, Dieu sait pourquoi, ils aient sciemment altéré la réalité) ; que le Marbot de 1809, en mal d'avancement, ait péché par folle modestie : ou que, beaucoup plus tard, le



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