Enragés by Pierre Gaulon

Auteur:Pierre Gaulon [Gaulon, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 2018-01-30T23:00:00+00:00

Louis

L'être humain s'accoutume à tout, par espoir, ou dépit. On a parfois du mal à se rendre compte de la réelle puissance de l'esprit tant que rien ne l'a éprouvé. Louis s'était souvent demandé comment, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les prisonniers des camps de concentration avaient pu résister avec tant d'ardeur aux tortures physiques et psychologiques. Plus jeune, une question revenait souvent dans sa tête: pourquoi n'avaient-ils pas tenté une évasion ? Ne sentaient-ils pas qu'en restant dans ces lieux maudits, ils seraient condamnés ?

Enfermé depuis près de dix jours, Louis commençait à saisir une ébauche de réponse. Dans un premier temps venait l'incompréhension. Les prisonniers d’Auschwitz avaient beau entendre des rumeurs concernant les fours crématoires, pouvaient-ils réellement croire à la réalité de cette pratique ? Lorsque l'horreur atteint des sommets, le cerveau semble imprimer une sorte de censure et tente de rationaliser l'infamie. La deuxième raison découle de la première. La volonté de vivre est plus forte que tout, nous continuons d'avancer face à la mort en suivant le chemin le plus sûr. Les histoires concernant les grandes cheminées sont impossibles ! Personne ne serait capable de telles pratiques ! Inutile de tenter une évasion qui n'aurait qu'une faible chance de fonctionner et me coûterait sans doute la vie.

Louis éprouvait avec force ce paradoxe du condamné. Même Bingo semblait capter l’étrangeté de la situation. Son comportement habituellement enjoué s’était brutalement refroidi comme si son instinct lui dictait d’adopter une attitude en adéquation avec la gravité des événements. La chienne passait la majorité de son temps couchée sur son coussin, la tête posée entre ses pattes avant. Bingo évitait dans la mesure du possible de s’approcher des ouvertures, portes et fenêtres comme si celles-ci donnaient sur un monde parallèle peuplé d’immondes créatures.

Ce n’est peut-être pas si éloigné de la vérité.

Le père de Louis lui avait appris que les animaux avaient des attitudes terriblement proches des êtres humains. Ils jouaient, souriaient et leur gestuelle permettait la lecture des sentiments de surprise, joie ou stupéfaction. Enfouie dans l’épaisseur de son panier, les oreilles et la queue tombantes, les yeux baissés, Bingo paraissait ce jour-là en proie à une profonde mélancolie.

Ses émotions déteignaient sur son maître.

Louis s’arracha à la contemplation de sa chienne avec un soupir résigné et se rendit à la salle de bain. Après une rapide douche froide, il se contempla dans le miroir. Quelques poils blancs luisaient dans sa barbe et à ses tempes. Au coin de ses yeux se dessinaient de longues rides.

Il avait pris dix ans en quelques jours.

Désabusé, il reprit son travail de guet. Les jours passants, la situation était devenue routinière. Après son réveil, Louis amenait Bingo dans la cour intérieure, faisait quelques exercices physiques, pompes et abdos pour se maintenir en forme et évacuer la pression puis se plaçait à son poste près de la fenêtre.

Ses observations, considérablement enrichies, expliquaient certains comportements des écorchés. Trois jours auparavant s’était déroulée une nouvelle tentative d’évasion. Une femme privée de vivres avait tenté le tout pour le tout en affrontant ces horreurs.

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