Bach ou le Meilleur des mondes by Andre Tubeuf

Bach ou le Meilleur des mondes by Andre Tubeuf

Auteur:Andre Tubeuf [Tubeuf, Andre]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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L’Univers par le divers

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LES Brandebourgeois ne sont tels que par la dédicace à l’électeur ou margrave du coin à qui Bach les offrait, plus qu’obséquieuse, servile à en tirer des larmes. L’Altesse n’eut, que l’on sache, nulle cure de les faire exécuter. Et si concertos ils sont, c’est en un sens du terme inédit, montrant Bach non pas inventeur seulement, qui n’a qu’à marier des ressources déjà existantes en tout neuf grand saucier des timbres (ce qui ne serait déjà pas si mal), mais créant un art nouveau, par un savoir-faire qu’il est seul au monde (et restera, jusqu’au Mozart des six Concertos et du Quintette de 1784) à s’être acquis. Cet art, l’instrumentation, ne verra son éclosion dans la musique allemande que bien plus tard encore, dans la symphonie, et pas même celle de Haydn jusqu’à Brahms, avec Strauss et Mahler seulement (que Berlioz reste ici, comme il convient, un solitaire, un outsider). En cela Bach, avec le peu d’instruments dont il disposait à l’époque, mais attentif tout comme Mozart à l’apparition du moindre d’entre eux, à ses perfectionnements techniques, au développement de son potentiel expressif, pense déjà, sinon orchestre moderne (il faut laisser du temps au temps), du moins usage moderne de ce qui est déjà orchestre : pas en avant, ouverture de porte autrement inouïe que d’avoir pressenti un grand piano possible dans un clavier à cordes pincées.

L’orchestre que les Brandebourgeois ne font pas que préfigurer, mais concrétisent déjà, n’est plus en rien ce que Bach même a pu employer sous ce nom, rien qu’une Kapelle au fond, comme en nourrit chez soi le moindre principicule, un quatuor à peine amélioré, étoffé, mais pas diversifié : de quoi soutenir la prestation (un chant, principalement) d’un soliste obligé, violon le plus souvent – ce qu’il a fait aussi pour clavier(s), rhabillant d’après Vivaldi.

Et surtout pas dans ses Suites, pourtant dites pour orchestre, mais seulement par défaut, parce qu’aucun instrument virtuose, même la flûte comme dans l’illustre Deuxième en si mineur, n’y tient constamment la vedette, obligeant à dire : concerto. Les Suites ne sont orchestrales que par défaut, faute de protagonistes. Elles développent et alternent leurs parties et mouvements sur le modèle de celles pour clavier, anglaises et françaises. Les instruments y conspirent à créer du suivi et c’est tout. En rien ne cherchent-ils à s’affronter, contraster, se faire briller ou mettre en valeur chacun par son affrontement à l’autre. Les Brandebourgeois inventent cette toute neuve façon de concerter : non plus le consensus implicite qui fait qu’à plusieurs on se contente de dire mieux la même chose et d’aller au bout, et sans heurts si possible (comme dans tout ce qui en style italien est concerto grosso) ; mais se provoquant chacun à mieux faire, par son opposition, son antagonisme à tous les autres. Il y faut des prétendants de couleurs (ou timbres) tout autres, et de même force. Pas de second violon ici, acolyte, écuyer ; pas de faire-valoir. Cette procédure proprement agonistique, certes Bach ne l’a pas exaspérée.



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