La bascule du souffle by La Bascule du Souffle

La bascule du souffle by La Bascule du Souffle

Auteur:La Bascule du Souffle
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072433078
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2010-02-14T05:00:00+00:00


Parpaings de mâchefer

Les parpaings de mâchefer sont de gros blocs à base de scories, de ciment et de chaux. On mélange le tout dans une bétonnière, puis on moule avec une presse manuelle. La briqueterie se trouvait près des terrils, derrière la cokerie, de l’autre côté de la Iama, où il y avait assez de place pour faire sécher des milliers de blocs. Ils étaient alignés par terre en rangs serrés, comme les tombes d’un cimetière militaire. Les rangées ondulaient au gré des bosses et des trous du terrain. De plus, chacun avait sa manière bien à lui de poser son parpaing, qui se transportait sur une planchette. À force de recevoir des parpaings mouillés, les planchettes étaient gonflées, crevassées, percées.

Les porter était un long numéro d’équilibre : quarante mètres séparaient la presse de l’aire de séchage. Comme chacun s’y prenait différemment, les rangées n’étaient pas droites. D’ailleurs, le chemin se modifiait à chaque bloc qu’on posait : il avançait, reculait ou traversait carrément une rangée parce qu’on avait dû remplacer un parpaing raté ou récupérer la place gâchée dans l’alignement de la veille.

Un parpaing sortant de la presse pesait dix kilos et s’émiettait comme du sable mouillé. Il fallait porter la planchette sur le ventre en sautillant, et coordonner la langue, les épaules, les coudes, les hanches, le ventre et les genoux en fonction de la courbure des orteils. Car ces dix kilos n’avaient encore rien d’un bloc, et il fallait les porter à leur insu, les prendre en traître, onduler régulièrement avec un mouvement de bascule pour les empêcher de vaciller et de tomber brusquement de la planche. Un transport rapide et uniforme permettait de les déposer à terre sans les bouleverser, en ne leur causant que l’effroi d’un glissement bien lisse. Il fallait s’accroupir, garder les genoux fléchis, la planchette sous le menton, puis écarter les coudes comme des ailes et faire glisser le bloc d’un coup bien net. C’était la seule façon de le placer juste à côté d’un autre sans abîmer ses arêtes ni celles du bloc voisin. Un seul faux pas pendant la danse, et le parpaing s’effondrait comme un tas de boue.

On avait aussi le visage crispé en portant les blocs, et surtout en les déposant. Il fallait garder la langue droite et les yeux fixes. Quand on ratait son coup, on ne pouvait même pas pousser un juron de colère. Après chaque tranche de travail, nous avions les yeux et les lèvres rectangulaires comme les blocs, à force d’être figés. Là encore, le ciment était de la partie. En quête de vastes espaces, il s’envolait. Il y en avait plus sur nous, sur la bétonnière et dans la presse que sur les blocs. Pour les mouler, nous posions d’abord la planchette dans la presse, que nous remplissions à la pelle, en comprimant à la manivelle pour faire remonter le bloc et la planche dans le moule. Ensuite, pour transporter cette dernière, il fallait l’attraper des deux côtés et exécuter son numéro de danse et d’équilibre jusqu’à l’aire de séchage.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.