6,35 à l'ombre by M. et G. Gordon

6,35 à l'ombre by M. et G. Gordon

Auteur:M. et G. Gordon [Gordon, M. et G.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature américaine, Policier
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE XII

Ruth se servit du canif de Marv pour faire l’incision, d’un geste adroit et précis. Ses mains lui obéissaient au-delà de toute espérance – fermes, rapides, sûres. Sans avoir jamais pratiqué elle-même une intervention chirurgicale, elle avait cent fois observé les chirurgiens, alors qu’elle se tenait à leurs côtés, dans son uniforme immaculé, sous les projecteurs de la salle d’opération blanche et stérilisée. Qui eût pu se douter qu’un jour, dans un coin perdu de l’Arizona roussi par le soleil, elle se pencherait sur un patient étendu à même le sol, les doigts crispés sur des cailloux, en guise d’anesthésique, les traits convulsés par la souffrance, les dents serrées pour ne pas hurler… Un pur cauchemar, absolument insensé.

Des doigts de sa main gauche, elle écarta les lèvres de la plaie sans cesser de parler à voix basse, disant n’importe quoi, cherchant à rassurer cet homme, cet assassin, qui n’hésiterait pas à se tourner contre elle si tel était son intérêt. En aurait-il fait autant pour elle ? Sans savoir pourquoi, elle se dit que oui.

Quand elle sonda la plaie, la lame du canif heurta quelque chose de métallique. Elle enfonça la lame un peu plus profondément pour localiser exactement le projectile, tout en se demandant ce que Marv était en train de penser. La réponse était facile : il se disait que, opération ou pas, Joe allait mourir et que lui, Marv, aurait les soixante mille dollars pour lui tout seul. Quelle formule avait-il employée ? « Ça se fait comme ça, on n’y peut rien. » Et voilà qu’il avait dit vrai, sans qu’il y fût pour quelque chose…

Ruth avait soigné trop de malades pour ne pas reconnaître les symptômes. La respiration de Joe était haletante, comme s’il allait rendre le dernier soupir d’un moment à l’autre. Elle se hâta d’enfoncer la lame sous le projectile, le manqua et dut recommencer. « Mon Dieu ! pria-t-elle, oh ! mon Dieu ! » Joe ne respirait quasiment plus.

Elle murmura quelques paroles d’encouragement et Joe battit des paupières. « En ce moment, se dit Ruth, nous sommes unis par la souffrance comme le sont rarement deux êtres humains. »

La balle finit par sortir et le sang jaillit. Ruth l’épongea du mieux qu’elle put et pressa la plaie une fois de plus, consciente de causer à Joe une douleur atroce qu’elle-même n’aurait jamais pu supporter. Quelques instants plus tard, la plaie ne saignait plus.

Le pouls de Joe battait au ralenti ; mais, soudain, ce fut comme si, venant d’on ne sait où, un sang nouveau avait irrigué ses artères. On aurait dit qu’au plus profond de Joe un revirement s’était produit ; lui, qui, jusqu’alors, était resté passif, luttait maintenant pour vivre.

Quand Ruth eut terminé, elle laissa tomber le canif dans l’eau qui chauffait sur les braises et s’éloigna. Pendant un long moment, elle demeura immobile, bouleversée jusqu’au tréfonds de son être, contemplant sans le voir le canyon inondé de soleil.

Le silence était absolu. Ce fut Marv qui le rompit.

— Je ferais mieux de m’occuper des mulets, dit-il d’une voix rauque.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.