Voici venir les rêveurs by Mbue Imbolo

Auteur:Mbue,Imbolo [Mbue,Imbolo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
ISBN: 9782714473608
Éditeur: Place Des Editeurs
Publié: 2016-08-17T22:00:00+00:00

29

CINDY LUI DEMANDA DE MONTER LA VOIR un soir au début du mois de novembre, une semaine après l’histoire de la cravate. Cela se passa trois jours après l’élection de Barack Obama, où les New-Yorkais avaient dansé à Times Square, trois jours après que Neni et lui eurent sauté et pleuré des larmes de joie en apprenant que le fils d’un Africain dirigeait désormais le monde. Cela se passa un jour après que Clark lui eut annoncé qu’il percevrait une prime de deux mille dollars pour avoir été un employé d’exception durant cette année.

« Je vous en prie, asseyez-vous », lui dit Cindy en désignant la table de la cuisine.

Jende s’installa sur une chaise en cuir noir. Il y avait un vase transparent de lys roses sur la table en marbre nue ; un carnet bleu à côté. Jende jeta un regard au carnet relié de cuir, puis à Cindy. Il le sentait : elle avait remarqué la cravate. Elle avait forcément remarqué la cravate. Ils s’étaient forcément disputés à cause de cette histoire, ou peut-être d’autre chose. Cela avait dû être une grosse dispute, peut-être aussi violente que celle à laquelle Neni avait assisté dans les Hamptons au sujet du départ de Vince en Inde. Il était toujours facile de deviner qu’une personne mariée s’était disputée avec son époux ou son épouse – cette personne-là semblait seule au monde, comme n’ayant plus personne ni plus rien. Voilà de quoi avait l’air Cindy ce soir-là.

Elle n’était plus aussi belle que la Mme Edwards de ses débuts. Sa peau était toujours parfaite, sans rides ni taches, mais il y avait un vide dans ses yeux, que même son mascara et son trait d’eye-liner bien appliqués ne pouvaient masquer ; il voyait aussi que quelque chose était arrivé à madame Cindy, que quelque chose était en train de lui arriver. Même avec ses longues mèches blondes brillantes et ondulées ramenées d’un côté, le collier de perles qui ornait sa poitrine, ses lèvres peintes en rouge, Jende voyait la souffrance qu’elle endurait et qu’il devait se produire quelque chose qui lui ramènerait la paix.

« Votre journée s’est bien passée ? lui demanda-t-elle.

— Je remercie Dieu, madame. »

Elle hocha la tête, ramassa sa tasse de café sur la table et, en la tenant à deux mains, prit une gorgée.

« Votre femme et votre fils vont bien ?

— Ils vont très bien, madame. Merci de me demander. »

Cindy hocha la tête une nouvelle fois. Elle resta silencieuse pendant dix secondes, peut-être, puis courba la tête, les mains toujours accrochées à la tasse.

« Je vais devoir vous demander une faveur, lui dit-elle tout bas, en levant la tête pour regarder Jende dans les yeux. Une grande faveur. J’aimerais que vous me la rendiez dès demain.

— Tout ce que vous voudrez, madame. Tout ce que vous voudrez.

— Bien, bien. »

De nouveau, elle s’arrêta, acquiesçant, la tête courbée. Il attendit, regardant le col de son chemisier en coton jaune plutôt que son visage. Elle gardait la tête baissée.

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