Tout Ella by Sara Émilie Simone

Auteur:Sara Émilie Simone [Simone, Sara Émilie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Comédie, Littérature française
Éditeur: Sarbacane
Publié: 2023-05-15T00:00:00+00:00

– Ella, réveille-toi, tu fais un cauchemar !

La main de Maya est posée sur mon bras, elle est toute chaude et son visage tourné vers moi a l’air inquiet.

– Tu fais un mauvais rêve, Ella, réveille-toi.

– Je me suis pas endormie.

– Tu criais.

– Vraiment ? Ben, j’ai crié ?

Ben hoche la tête, le visage sérieux.

– Il se passait quoi dans ton rêve ?

– Rien, je marchais pieds nus sur un sol chaud… je crois, me souviens plus…

– Bon, c’est fini maintenant, bois un peu d’eau.

Maya me tend sa bouteille en veillant à ce que je prenne assez de gorgées. Jamais ça ne m’est arrivé, jamais auparavant je n’ai crié dans mon sommeil. Mon cœur bat très fort, inquiet de l’avenir de nos nuits. On est donc passés aux terreurs nocturnes, lui et moi. Est-ce que maintenant je vais crier à chacune de mes siestes ?

Je regarde mes pieds, mes pieds nus.

– Elles sont où tes chaussures ?

Maya balaie le sol de la banquette arrière et jette un coup d’œil devant, aucune trace de mes chaussures. Je les revois ouvertes sur le capot.

– Et merde.

***

Il est déjà 14 heures passées. J’appelle Zaza pour vérifier qu’elle n’est pas rentrée chez elle depuis les trois heures loin de Paris : rien. Tout me rend triste autour de moi. Mon cœur m’a lâchée, je ne l’entends plus. Moi, ma tête et mes pieds nus, on attend.

Le tableau de bord est rempli de kchouches, de milliards de petites choses inutiles que Zaza a collectionnées au fil des années. Des marrons, des tickets d’horodateurs, des fleurs séchées, des stylos sans encre, une jolie petite image… Tout ce joyeux bordel tombe à chaque coup de frein violent. Aucune des voitures garées dans l’énorme parking du Leclerc n’est aussi belle que la nôtre. Elle a du caractère, un beau rouge vif, des gnons sur sa carlingue, une antenne tordue et des vitres sales : elle est unique. La clé est restée sur le contact. Qui me verrait si je la conduisais, là, maintenant ? Un ou deux petits tours de parking pour me remplir le cœur et apaiser ma peine, après tout ? Le goudron sous mes pieds est brûlant, ce n’est pas désagréable. Je suis mes pieds un pas après l’autre autour de la voiture, un mégot, un petit bout de terre, un ticket de caisse roulé en boule, une plume de pigeon. Est-ce que les pigeons trimballent vraiment des maladies ? J’ai l’impression qu’on leur a collé une sale étiquette depuis le début. Si les pigeons allaient sur l’eau comme les mouettes ou les canards, ils auraient une tout autre réputation.

– Eh, l’oiseau ! Y avait pas de pompes, là-bas, je t’ai pris des tongs.

– Je peux pas porter de tongs.

Ben, les tongs en main, me regarde de haut en bas sans comprendre.

– T’es pas épilée des doigts de pied ?

– J’ai jamais réussi à marcher avec des tongs. Tout le monde a essayé de m’apprendre. Ça rend les gens barges, mais j’y peux rien, moi, ça fonctionne pas avec mes pieds, je sais pas ce qu’ils ont.

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