Terres promises by Milena Agus

Auteur:Milena Agus [Agus, Milena]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General
ISBN: 9791034900084
Éditeur: Liana Levi
Publié: 2018-02-28T23:00:00+00:00

28

Felicita se disait que son enfant n’avait pas tout à fait tort d’hésiter à venir au monde. La vie des humains, qui aspirent au bonheur, se révèle le plus souvent un épuisant périple. Il arrive qu’on perde espoir et qu’on se demande si ça vaut la peine de s’éreinter à ce point.

Et pourtant, son bébé, l’extraterrestre indécis, avait choisi notre monde en ruine parmi tant d’autres planètes, et parmi tant de ventres où prendre forme humaine, celui de Felicita.

« Quel fœtus sain d’esprit choisirait de naître sur Terre ? disait Marianna avec une grimace de mépris. Dire que ces fous, une fois nés, devront en plus s’efforcer d’avoir l’air normal. »

Toutefois, Marianna avait déjà acheté un mobile à accrocher au-dessus du berceau du bébé : des abeilles qui dansaient, jouaient de la musique et chantaient.

« Pour le consoler d’être né », avait-elle précisé.

Felicita était certaine qu’il s’adapterait : d’abord grâce aux abeilles dansantes et chantantes ; ensuite, tout au long du pénible voyage qui l’attendait et qui n’aboutirait jamais au bonheur, il trouverait bien moyen de faire halte quelque part. Dans un endroit pas tout à fait en ruine, peuplé de gens pas vraiment sains d’esprit qui lui ressemblaient, à lui, l’extraterrestre qui, comme eux, avait commis la folie de venir au monde.

Il y serait en bonne compagnie. Se sentant partie d’un tout, il y tisserait des alliances : les autres sont moi, et moi, je suis les autres. Dans les moments difficiles, il trouverait quelqu’un à qui s’accrocher. Il vivrait aussi de beaux moments. Malgré tout ce que racontait Leopardi. Il tomberait amoureux, il rirait. Il aimerait.

Peut-être aurait-il une passion pour la musique, comme son aïeul, comme son père. Grâce à la musique, il comprendrait des choses insaisissables autrement.

En calculant la proportion de bonté et de méchanceté sur notre planète, il en déduirait que le périple est moins épuisant pour les gentils. Car tout ce que l’on raconte au sujet des gentils qui sont des idiots est d’une grande bêtise. Si la bonté et la beauté ne l’emportaient pas, tout n’aurait-il pas pris fin depuis longtemps ? Quel extraterrestre, aussi fou fût-il, aurait l’idée de venir ici prendre forme dans un ventre ?

Mais quelques heures après sa naissance, Gregorio – ainsi fut prénommé l’extraterrestre – semblait avoir déjà changé d’idée. Il régurgitait toute nourriture. Il fut emmené d’urgence au service des enfants malades, où arrivèrent aussi Marianna, Raffaele et Ester qui apprit alors la grossesse de sa fille.

Tandis qu’un médecin examinait le nouveau-né, ils s’assirent tous les quatre dans la salle d’attente, Felicita en blouse d’accouchée, Raffaele avec la chemise sortie du pantalon, Ester au bord de l’évanouissement, les joues secouées de spasmes.

« Je me demande pourquoi on oblige les gens à venir au monde, dit Marianna à Felicita, sur un ton de reproche.

– Si ma fille avait donné un père à cette créature, tout aurait été différent, dit Ester avec un filet de voix.

– Elle a bien fait de garder l’enfant et de ne pas épouser le fils de donna Dolores qui ne l’aimait pas, rétorqua Raffaele pour faire taire sa femme.

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