Le corps humain by Giordano Paolo

Le corps humain by Giordano Paolo

Auteur:Giordano, Paolo [Giordano, Paolo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Seuil
Publié: 2013-08-21T22:00:00+00:00


Nuées de flocons blancs

Nous étions en janvier et il neigeait le jour où je mentis à Marianna à propos de sa robe. Je l'avais priée de s'asseoir sur la banquette arrière, ce qu'elle refusait avec obstination. Tandis que nous discutions devant la porte d'entrée, de minuscules flocons tombaient sur sa coiffure insolite.

« La ceinture de sécurité va la froisser, déclarai-je.

- Je ne m'assieds pas à l'arrière comme les enfants. Cette place me rappelle de mauvais souvenirs. Tu te souviens quand papa nous expliquait ce qui arriverait à notre boîte crânienne si nous subissions un choc frontal ? Voilà. »

Durant tout le trajet, elle tint sa ceinture écartée pour éviter de gâcher son décolleté. Elle frottait ses lèvres l'une contre l'autre et les aurait sans doute mordillées comme une forcenée si le maquilleur ne leur avait pas appliqué un peu plus tôt un gloss qui les rendait aussi lisses qu'une pierre polie. Elle aurait également planté les dents dans mon bras si je le lui avais tendu.

« J'imagine qu'une mariée doit être heureuse s'il neige le jour de son mariage.

- Pourquoi ? Tu n'es pas heureuse ? » demandai-je, avant de le regretter. Affronter l'insatisfaction de Marianna, voilà justement ce dont je n'avais pas le courage.

Elle ne remarqua pas le caractère dangereusement générique de ma question. Posant sur les branches couvertes de neige un regard ennuyé, elle me dit : « Ce n'est pour moi qu'une gêne de plus. Toutes ces chaussures mouillées. Et la boue. »

La question imprudente que j'avais prononcée suffit toutefois à déverser sur moi l'amertume que je sentais flotter entre nous depuis plusieurs mois, un amas de consternation jailli du tremblement de terre silencieux qui avait brisé notre famille en deux, me laissant, défait, au milieu. La concrétisation de la menace était prévue pour cette matinée de célébration, comme la neige que les météorologues annoncent avec une précision stupéfiante après plusieurs jours de ciel bas. D'ici une heure, Marianna se marierait avec un brave garçon. Elle l'épousait par reconnaissance, mais surtout pour se venger de nos parents. Elle l'épousait à tout juste vingt-cinq ans, abandonnant le reste en suspens. Elle l'épousait, un point c'est tout, délibérément, et j'étais censé la conduire à mon bras le long de la nef centrale de l'église, figé et ridicule dans un rôle qui n'était pas le mien.

Elle baissa le pare-soleil et scruta son visage dans le petit miroir rectangulaire. « Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. J'étais sans doute nerveuse, non ? Toutes les femmes le sont la nuit qui précède. Mais, moi, je n'étais pas seulement nerveuse, j'avais des crampes atroces à l'estomac, des crampes qui n'avaient rien à voir avec la nervosité, de simples crampes. J'ai avalé deux comprimés de Buscopan, qui n'ont fait aucun effet. Pour sûr, si tes parents ne nous avaient pas bourrés de médicaments quand nous étions petits, ils auraient pu se révéler utiles... et à trois heures du matin je n'ai rien trouvé de mieux que d'essayer de nouveau, encore une fois, ma robe.



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