Terminus Allemagne by Krechel Ursula

Terminus Allemagne by Krechel Ursula

Auteur:Krechel, Ursula [Krechel, Ursula]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
ISBN: 9782355361364
Éditeur: Carnets Nord
Publié: 2014-09-03T22:00:00+00:00


La peau cubaine

Des journées qui se chevauchent, torrides, enfilées à la va-vite. Un voile de mouches des sables bourdonne au-dessus de la baie somnolente. Lumière limpide, bleue, lumière d’une insistance tranquille, qui vous fait paraître nu et pâle. Moulins à vent, moulins à sucre, champs de tabac, régiments de bananes. Batailles de canne à sucre, que l’on dirait menées avec des lances, des machettes. Toute l’économie ne tenait qu’à un seul fil, et c’était le prix du sucre. Éblouissante clarté des églises baroques et de leurs imitatrices du XIXe siècle, rayonnement prestigieux des palais aux cours ombragées, blancheur des monuments, blanc de Chine, blanc de porcelaine, blanc d’orchidée, couleur vanille. Cuba était un écoulement et un déversement, des ruisseaux de sueur (on la sentait, mais on faisait comme si on ne la sentait pas), un relâchement, un apaisement sans aucune raison. En janvier, février, les températures atteignaient encore les vingt-cinq degrés. Fin mars, le thermomètre montait déjà à près de quarante degrés, il fallait se résigner à ruisseler, à dégouliner et à ne pas en avoir honte. Il ne fallait pas songer à avoir des vêtements corrects, adaptés à la grosse chaleur. À moins de prendre clandestinement contact avec un tailleur, un tailleur qui avait un problème juridique fondé, quelqu’un lui était resté redevable, le tissu qu’il avait acheté était abîmé, il voulait se défendre, il y avait peut-être quelque chose à faire, ou non. Les bougainvillées se débattaient dans sa cour, un palmier ombrageait sa boutique, mais il n’était pas assez large. On pouvait l’encourager à résoudre le problème juridique sans qu’il soit obligé de recourir à un tribunal, on pouvait l’aider à patienter, libeller des conclusions qui paraissaient défensives mais étaient sans valeur. Avis juridique contre pantalon contre confiance. Le temps ne jouait aucun rôle, qu’est-ce qui pouvait changer ? Et même ce qui changeait au bout d’un an n’était pas tombé hors du temps. En septembre, l’air était tel que l’on se le représente en enfer. Il faisait si chaud qu’aussitôt après la toilette du matin on était déjà recouvert d’une pellicule de sueur et on ne pouvait pas se supporter. Ensuite il commençait à pleuvoir, des flots de pluie, des rideaux d’eau, les rues transformées en rivières impétueuses où l’on pagayait.

On buvait un jus d’ananas à moitié fermenté et légèrement mousseux, comme on buvait du cidre ailleurs, on restait assis à l’ombre ou dans des pièces obscurcies, la chaleur alourdissait les mains, qui restaient volontiers sur les genoux. On commandait un deuxième verre de jus d’ananas. Un homme passait à bicyclette, il avait coincé une barre de glace sous son porte-bagages, il roulait avec une lenteur si apaisante que c’était un plaisir de le regarder. La barre de glace était bien enveloppée dans des journaux afin de garder la fraîcheur autant que possible, mais la bicyclette laissait néanmoins derrière elle une légère traînée d’eau, pas encore critique. Le livreur apportait la glace derrière le comptoir, le patron du bar la cassait avant de la piler, la rangeait au fond et s’en servait pour refroidir une nouvelle portion de jus d’ananas.



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