Le Vieux qui lisait des romans d'amour by Luis Sepulveda

Le Vieux qui lisait des romans d'amour by Luis Sepulveda

Auteur:Luis Sepulveda [Sepulveda, Luis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Publié: 2010-10-30T22:00:00+00:00


6

Après avoir mangé les crabes délicieux, le vieux nettoya méticuleusement son dentier et le rangea dans son mouchoir. Après quoi il débarrassa la table, jeta les restes par la fenêtre, ouvrit une bouteille de Frontera et choisit un roman.

La pluie qui l’entourait de toutes parts lui ménageait une intimité sans pareille.

Le roman commençait bien.

« Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier complice des aventures de son ami faisait semblant de regarder ailleurs et que la gondole, garnie de coussins mœlleux, glissait paisiblement sur les canaux vénitiens. »

Il lut la phrase à voix haute et plusieurs fois.

— Qu’est-ce que ça peut bien être, des gondoles ?

Ça glissait sur des canaux. Il devait s’agir de barques ou de pirogues. Quant à Paul, il était clair que ce n’était pas un individu recommandable, puisqu’il donnait un « baiser ardent » à la jeune fille en présence d’un ami, complice de surcroît.

Ce début lui plaisait.

Il était reconnaissant à l’auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées.

Restait le baiser – quoi déjà ? – « ardent ». Comment est-ce qu’on pouvait faire ça ?

Il se souvenait des rares fois où il avait donné un baiser à Dolores Encarnación del Santísimo Sacramento Estupiñán Otavalo. Peut-être, sans qu’il s’en rende compte, l’un de ces baisers avait-il été ardent, comme celui de Paul dans le roman. En tout cas il n’y avait pas eu beaucoup de baisers, parce que sa femme répondait par des éclats de rire, ou alors elle disait que ça devait être un péché.

Un baiser ardent. Un baiser. Il avait découvert récemment qu’il n’en avait guère donné, et seulement à sa femme, car les Shuars ne connaissent pas le baiser.

Il existe chez eux, entre hommes et femmes, des caresses sur tout le corps, sans se préoccuper de la présence de tiers. Même quand ils font l’amour, ils ne se donnent pas de baisers. La femme préfère s’accroupir sur l’homme, en affirmant que cette position lui fait mieux sentir l’amour et que les anents qui accompagnent l’acte en sont d’autant plus puissants.

Non, chez les Shuars le baiser n’existe pas.

Il se souvenait aussi d’avoir vu, une fois, un chercheur d’or culbuter une femme jivaro, une pauvresse qui rôdait chez les colons et les aventuriers en mendiant une gorgée d’aguardiente. Tous les hommes qui en avaient envie pouvaient l’emmener dans un coin et la posséder. Abrutie par l’alcool, la malheureuse ne se rendait pas compte de ce qu’on faisait d’elle. Cette fois-là, un aventurier l’avait prise sur la plage et avait cherché à coller sa bouche à la sienne.

La femme avait réagi comme un animal sauvage. Elle avait fait rouler l’homme couché sur elle, lui avait lancé une poignée de sable dans les yeux et était allée ostensiblement vomir de dégoût.

Si c’était cela, un baiser ardent, alors le Paul du roman n’était qu’un porc.

Quand arriva l’heure de la sieste, il avait lu environ quatre pages et réfléchi à leur propos, et il était



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