Station atomique by Halldór Laxness

Station atomique by Halldór Laxness

Auteur:Halldór Laxness
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Presses du Compagnonnage
Publié: 1964-01-01T05:00:00+00:00


X

ON ME RENVOIE

COMME je suis prête à verser le café dans les bols du petit déjeuner, Madame me demande d’une voix sèche, sans me regarder et sans tourner autour du pot :

— Où étiez-vous, hier soir ?

— À la réunion de cellule, dis-je.

Et tout d’abord Madame tressaille, mais elle se domine bien vite, efface les rides autour de sa bouche crispée, elle a une petite toux aiguë et dit enfin, d’une voix incroyablement calme (mais elle est devenue toute pâle) :

— Ah ! vraiment. Et quelle question était à l’ordre du jour, si l’on peut savoir ?

— La crèche, répondis-je.

— Quelle crèche ? demanda Madame.

— Nous manquons de crèche, dis-je.

— Qui manque de crèche ?

— Moi, dis-je.

— Et qui va la construire ? demanda-t-elle.

— L’État.

— L’État ? dit-elle. Quel genre de créature est-ce là, si l’on peut savoir ?

C’était incroyable de voir cette chère Madame faire tant d’ironie, alors qu’elle était loin d’être calme. Mais elle ne put se contenir plus longtemps :

— N’avez-vous pas honte, commença-t-elle, de me jeter à la face que vous êtes allée à une réunion de cellule, de le reconnaître devant moi, dans ma maison, de l’avouer à notre table devant ces deux enfants innocents ? Et qui plus est, de présenter des revendications communistes, ici, à table ? Des revendications pour que nous, qui payons des impôts, donnions de l’argent pour favoriser l’immoralité des communistes !

— Allons, ma chère, interrompit en souriant son mari, qui donc revendique une chose pareille ? Dieu merci, nous favorisons notre propre immoralité avant de donner de l’argent pour favoriser celle des autres !

— Oui ! Ça vous ressemble, à vous autres, poltrons politiques de la bourgeoisie ! Vous êtes toujours prêts à prendre parti contre votre propre classe. Vous ne prospérez que dans une atmosphère d’intrigues, dans un bourbier d’escroqueries. Moi et mes semblables, qui avons mis nos enfants au monde selon les lois de Dieu et des hommes, qui leur avons donné une éducation morale, qui avons créé un foyer modèle, il ne manquait plus que cela : que nous soyons obligés de payer pour l’immoralité de ceux qui veulent faire crouler nos maisons sur la tête de nos enfants !

À ces mots, Madame se leva de sa place, brandit le poing devant mon visage, si bien que ses bracelets cliquetèrent, et dit :

— Non ! merci. Sortez !

La petite fille regardait sa mère, bouche bée, et avait commencé à joindre les mains. Mais le petit gars gonflait les joues, prêt à pouffer. Monsieur continuait à manger son porridge. Il plissait les yeux et levait les sourcils, comme les hommes font quand ils jouent aux cartes, pour qu’on ne voie pas ce qu’ils ont en main. Mais où donc est-ce que je me croyais ? Est-ce que je croyais, par hasard, que cette maison était un tumulus dressé par hasard dans le paysage, et qu’on pouvait parler ici de n’importe quoi avec l’insouciance du pauvre ? Est-ce que j’avais cru que la discussion, en réunion de cellule,



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