L'Immoraliste by André Gide

L'Immoraliste by André Gide

Auteur:André Gide [Gide, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2012-01-01T05:00:00+00:00


II

Ce fut dans la rue S***, près de Passy, que nous nous installâmes. L’appartement que nous avait indiqué un des frères de Marceline, et que nous avions pu visiter lors de notre dernier passage à Paris, était beaucoup plus grand que celui que m’avait laissé mon père, et Marceline put s’inquiéter quelque peu, non point seulement du loyer plus élevé, mais aussi de toutes les dépenses auxquelles nous allions nous laisser entraîner. À toutes ses craintes j’opposais une factice horreur du provisoire ; je me forçais moi-même d’y croire et l’exagérais à dessein. Certainement les divers frais d’installation excéderaient nos revenus cette année, mais notre fortune déjà belle devait s’embellir encore ; je comptais pour cela sur mon cours, sur la publication de mon livre et même, avec quelle folie ! sur les nouveaux rendements de mes fermes. Je ne m’arrêtai donc devant aucune dépense, me disant à chacune que je me liais d’autant plus, et prétendant supprimer du même coup toute humeur vagabonde que je pouvais sentir, ou craindre de sentir en moi.

Les premiers jours, et du matin au soir, notre temps se passa en courses ; et bien que le frère de Marceline, très obligeamment, s’offrît ensuite à nous en épargner plusieurs, Marceline ne tarda pas à se sentir très fatiguée. Puis, au lieu du repos qui lui eût été nécessaire, il lui fallut, aussitôt installée, recevoir visites sur visites ; l’éloignement où nous avions vécu jusqu’alors les faisait à présent affluer, et Marceline, déshabituée du monde, ni ne savait les abréger, ni n’osait condamner sa porte ; je la trouvais, le soir, exténuée ; et si je ne m’inquiétai pas d’une fatigue dont je savais la cause naturelle, du moins m’ingéniai-je à la diminuer, recevant souvent à sa place, ce qui ne m’amusait guère, et parfois rendant les visites, ce qui m’amusait moins encore.

Je n’ai jamais été brillant causeur ; la frivolité des salons, leur esprit, est chose à quoi je ne pouvais me plaire ; j’en avais pourtant bien fréquenté quelques-uns naguère ; mais que ce temps était donc loin ! Que s’était-il passé depuis ? Je me sentais, auprès des autres, terne, triste, fâcheux, à la fois gênant et gêné. Par une singulière malchance, vous, que je considérais déjà comme mes seuls amis véritables, n’étiez pas à Paris et n’y deviez pas revenir de longtemps. Eussé-je pu mieux vous parler ? M’eussiez-vous peut-être compris mieux que je ne faisais moi-même ? Mais de tout ce qui grandissait en moi et que je vous dis aujourd’hui, que savais-je ? L’avenir m’apparaissait tout sûr, et jamais je ne m’en étais cru plus maître.

Et quand bien même j’eusse été plus perspicace, quel recours contre moi-même pouvais-je trouver en Hubert, Didier, Maurice, en tant d’autres, que vous connaissez et jugez comme moi. Je reconnus bien vite, hélas ! l’impossibilité de me faire entendre d’eux. Dès les premières causeries que nous eûmes, je me vis comme contraint par eux de jouer un faux personnage, de ressembler à celui qu’ils croyaient



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