Pas ici, pas maintenant by De Luca Erri

Pas ici, pas maintenant by De Luca Erri

Auteur:De Luca Erri [De Luca Erri]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2008-01-08T23:00:00+00:00


Maintenant, sur la photographie qui nous arrête, moi je pourrais descendre à cet arrêt. Je viendrais à ta rencontre en traversant la rue. Pour nous, il pourrait y avoir encore une suite.

Je viendrais te donner le bras. Que ferions-nous ? Nous comprendrions. Bras dessus, bras dessous nous comprendrions toute notre vie. Nous la verrions dans les séparations qui n’ont pas affaibli notre affection, dans les retrouvailles qui ne l’ont pas renforcée. Nous traverserions à pied la Villa Comunale jusqu’à piazza Vittoria. Nous nous trouverions sous les mêmes chênes verts de nos promenades enfantines. Une chèvre tirait une minuscule voiture à quatre places ; on louait de petites automobiles à pédales. Nous n’y montâmes jamais, parce qu’elles étaient sales, nous disais-tu.

Tu verras le banc au soleil du bord de mer où tu t’asseyais et tu protégeras tes yeux du vent. Nous comprendrons les vies, les enfants qui jouent à grandir trop vite, les mamans qui rallongent les vêtements, achètent des chaussures et regardent fixement le temps qui harcèle leurs enfants. Puis les enfants s’arrêtent et ce sont les mamans qui courent vers la soudaine vieillesse, elles qui ont les cheveux en bataille tant elles s’affairent en tous sens à la maison. Puis elles parlent peu et mangent lentement à Noël. Du moins étaient-elles ainsi les mamans.

Nous sourirons de nos défauts. Lesquels ? Ceux d’être sûrs de nous, comme si nous devions exister toujours tel le son des cloches, comme si nous devions mourir ensemble et être nés ensemble, toujours : défaut apparu parce qu’une petite pelote de jours se dévidait et nous faisait nous retrouver.

Pauvre habitude : il était bien rare de s’apercevoir que l’autre avait changé depuis la veille. Bien rare de s’apercevoir que son humeur marquait alors une pause différente entre le jour déjà prêt et le salut échangé, qu’un rêve avait tiré ses pommettes, qu’une ombre nouvelle tombait de la lampe sur sa joue. Nous sourirons du défaut qui nous fait voir égaux, nous comprendrons nos profonds changements et nous serons étonnés de leur si grand nombre. Nous comprendrons, cela nous arrivera une fois.

Je pourrais descendre à cet arrêt, aller à ta rencontre.



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