Le livre des maisons by Andrea Bajani

Le livre des maisons by Andrea Bajani

Auteur:Andrea Bajani [Bajani, Andrea]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Italie, Littérature italienne
Éditeur: Gallimard
Publié: 2023-01-16T13:14:31+00:00


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La Maison de Prisonnier, 1978

La perspective est une diagonale. Il convient d’imaginer deux yeux qui, à l’intérieur de la maison au premier étage, regardent la villa du XIXe siècle de l’autre côté de la rue. Ils voient une femme et un enfant en promenade – elle, aimable, lui, rongeant son frein, toujours prêt à transformer son pas en course. Ils s’arrêtent devant le portail fermé, l’enfant glisse les bras entre les barreaux, les agite en signe de salut, presse son visage contre le fer.

Il faut tenir compte de la végétation sur la terrasse ; elle pourrait gêner la vue, néanmoins la villa demeure à sa place, un peu plus bas ; Rome persiste en arrière-plan.

Le regard, de l’intérieur, comprend le diaphragme des rideaux, un filtre en tulle de couleur crème. Le parc et le bâtiment qui se dresse au milieu sont donc estompés par le tissu, tout comme les fontaines, dont il ne sort pas d’eau.

À travers les rideaux, Rome est une tonalité de blanc, un nuage qu’on a privé de ciel. Mais lorsqu’on la contemple depuis la terrasse, au-delà du tulle, on lui rend le ciel. Et avec le bleu, l’autre gamme de couleurs : le vert des stores sur les balcons, les jaunes et les oranges des immeubles. Au loin, on aperçoit le Palais des expositions et la majesté incongrue de la basilique Saints-Pierre-et-Paul. L’EUR est l’horizon sur lequel le soleil se lève chaque matin.

Toutefois les ravisseurs ne fréquentent guère la perspective de la terrasse ; la prudence leur impose de regarder à travers le rideau. Dans leur dos se dresse la paroi en placo derrière laquelle se tient Prisonnier – pour lui, le bulbe incandescent d’une ampoule goutte d’eau constitue l’unique soleil, il n’y a pas d’EUR, il n’y a pas de villa en contrebas. Le quartier Portuense et, en descendant, la via della Magliana forment une agglomération acoustique, un arrière-fond sonore. Invisible, le Tibre poursuit sa route vers la mer.

Vu de l’appartement, le parc dégage avant tout un sentiment d’abandon. Plus que des plates-bandes et de la végétation, on y voit des broussailles, de l’herbe qui s’étend et prend le dessus sur les alentours.

Cette propriété ignore totalement ce qu’elle deviendra. Elle ignore si elle aura pour destin un paysage défiguré, si elle survivra à la boulimie de construction qui fait rage dans le quartier. Si la villa, en son sein, restera à jamais un néant apparent, si elle n’offrira que des murs pour les croix gammées et l’AS Roma, si elle sera un logement pour les rats, un jardin municipal, une paroisse, ou un centre commercial.

La nuit, c’est un espace de conquête, seringues dans les veines, cigarettes, accouplements ; contraction des corps, orgasmes râlants ; c’est un lac d’obscurité qui s’efface au matin devant la végétation, devant ce délabrement naturel. Cela reste toutefois, pour le regard, un parc, une trêve inespérée dans la guerre du béton.



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