L'Immortel by Alberto Moravia

L'Immortel by Alberto Moravia

Auteur:Alberto Moravia [Moravia, Alberto]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature italienne, Récit(s), Autobiographie, Italie
Éditeur: Bouquins
Publié: 2023-03-06T13:42:04+00:00


1. Odio, paru dans Il Tempo, 29 mai 1947.

Les gros1

Il y avait quatre ans que je ne revoyais plus mon ami Paolo, et un jour je me suis décidé à lui rendre visite. La dernière fois que nous avions été ensemble, il était déjà marié et père de deux enfants. Je savais depuis lors qu’aucun événement important n’était survenu dans sa vie, sinon qu’il avait déménagé, quittant son vieux pavillon de banlieue pour un appartement que j’imaginais luxueux, dans une des rues élégantes de la ville. Je n’ai pas eu de mal à trouver sa nouvelle adresse : il habitait au troisième étage d’un immeuble neuf, qui me fit aussitôt regretter la maisonnette quelconque et modeste d’autrefois. C’était un édifice de style moderne, bien qu’il n’obéît à aucune rationalité. Sa façade était ondulée, où le sommet de chaque vague correspondait à la rangée de fenêtres de chaque étage et le vallonnement à l’espace qui séparait deux étages. Cela donnait l’idée d’une matière molle qui n’était pas en mesure de rester dressée en pures lignes verticales. Je n’accordai aucune importance à cette impression déplaisante et je montai chez mon ami.

On m’introduisit dans le salon et je n’attendis pas longtemps. Au bout d’un moment, Paolo ouvrit la porte en grand et vint à ma rencontre les bras écartés. J’avoue que ma première réaction fut de reculer et d’esquiver son étreinte. En effet, Paolo avait grossi dans des proportions que je qualifiai aussitôt d’inconvenantes. Ou plutôt, il n’était pas à proprement parler gros, car sa personne, à l’exception d’un léger épaississement de ses épaules et de ses hanches, ne pouvait être taxée d’obésité, mais il avait gonflé, du cou vers le haut. La ligne du menton et des mâchoires se perdait dans une série de bourrelets épanouis, celle des pommettes et des tempes dans l’enflure des joues. On en arrivait à supposer qu’il avait une rage de dents. « Eh ben dis donc ! » me dis-je. Pendant ce temps, lui, avec une gaieté qui contrastait avec le caractère maladif de cette enflure (on ne rit pas quand on a mal aux dents), m’indiquait un fauteuil, m’offrait une cigarette. Nous nous sommes mis à bavarder, lui avec aisance et brio, et moi avec une gêne croissante. Cet embonpoint, ou plutôt cette enflure, décidément, je ne l’avalais pas. C’était lui, sans le moindre doute, mais en même temps ce n’était plus lui.

La porte s’ouvrit et sa femme entra. D’elle, j’aurais juré que, même si elle était suralimentée, elle ne pourrait jamais se métamorphoser, car c’était l’archétype de la femme maigre : visage ovale et fin sur un long cou, grands yeux, silhouette mince, grandes mains et grands pieds. Une figure exsangue et longiligne qui rappelait les portraits de Modigliani. Or, nouvelle surprise, elle aussi était enflée : mais pas du visage, contrairement à son mari, au contraire, en bas, à partir de la taille. Pauvre petite, elle me faisait presque de la peine, car l’enflure prenait chez elle un aspect de souffrance : tellement délicate



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