Nous tournons en rond dans la nuit by Daniel Alarcón

Nous tournons en rond dans la nuit by Daniel Alarcón

Auteur:Daniel Alarcón [Alarcón, Daniel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2016-11-16T00:00:00+00:00


Bien plus tard, je demandai à Henry de me raconter cette soirée. En ville, des mois après que les événements que je narre ici eurent suivi leur cours. Je m’efforçais de recoller les morceaux à partir des versions fournies par Patalarga, Noelia et, dans une moindre mesure, Éric. Henry, pour ce qui le concerne, n’en avait conservé que des souvenirs confus. Il me parla longuement de sa guérison, de la lente disparition de la douleur au fil des semaines qui suivirent cette soirée ; mais la pièce, la bagarre et ce qui advint juste après, me dit-il, tout cela était flou.

Il raconta plutôt des scènes de bagarre en général. Les fausses. Il m’expliqua comment elles sont montées et semblait plus à l’aise ainsi, dans l’abstrait. Comme n’importe quelle scène impliquant un grand nombre de comédiens, me dit-il, les scènes de bagarre sont compliquées, difficiles à réussir. Une bonne bagarre doit imiter le chaos sans devenir chaotique, elle doit semer le trouble sans être désordonnée. Le public doit se régaler de la tension, mais les comédiens demeurer parfaitement détendus. Henry se passa la main dans les cheveux et se pencha en avant, s’animant brièvement, enchanté de toute évidence par cette série d’antinomies. Avait-il été clair ? Avais-je compris ?

Et j’ai commencé à me demander si pour lui tout cela n’avait été qu’un spectacle. Si cette nuit-là, quand la pièce s’acheva et que l’agression commença, quand il se trouva confronté à son passé, sous les traits de Jaime, et que ses amis exigèrent des explications, il avait eu l’impression d’interpréter une scène.

« Je ne sais pas, dit-il. Jaime m’a vraiment tabassé. Je me suis retrouvé par terre. J’ai empoigné un couteau en plastique. Je voulais me défendre. Je voulais que quelqu’un me sauve. Peut-on dire que c’est jouer un rôle ?

– C’est la question que je vous pose. »

Henry se frotta le visage. Il se mit debout et releva son T-shirt de la main gauche. « Il y avait des bleus ici, dit-il en désignant son ventre et sa poitrine. Et là. Et là. Ces deux côtes – il en pinça une, puis l’autre – ces deux-là, elles étaient cassées.

– Je sais. Ce n’est pas ma question. Je n’ai jamais dit que vous faisiez semblant. »

Il fronça les sourcils. « Alors qu’est-ce que vous me demandez ?

– Quand ça s’est terminé, étiez-vous conscient qu’une négociation délicate avait commencé ? Étiez-vous vigilant ?

– Bien sûr que je l’étais. J’avais peur que cet homme me tue. »

Ce soir-là, Jaime, les traits grimaçants, était froid et distant. Il n’était pas beau, me confia plus tard Patalarga, mais il avait « un visage intéressant ». Sa bouche trop petite restait fermée, le soupçon d’un sourire sur ses lèvres pincées. Les gens le craignaient et cela lui plaisait. Dans l’échauffourée, ses cheveux noirs impeccables s’étaient ébouriffés, mais ça lui était égal.

« On attendait qu’il dise quelque chose, je crois, me raconta Patalarga. Mais il ne l’a pas fait. »

C’est Noelia qui prit alors la parole, s’adressant à son frère : « Ils savent aussi ? demanda-t-elle d’une voix désespérée.



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