Naufragé en terre ferme by Vittorio Frigerio

Naufragé en terre ferme by Vittorio Frigerio

Auteur:Vittorio Frigerio
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Prise de parole
Publié: 2014-09-02T00:00:00+00:00


XXVII. Atomes

— Oui, dit le vieux, nous ne connaissons pas le nom de notre ami, et c’est là l’un des avantages qu’il a sur nous.

— Pardon?… balbutia Ned, que cette affirmation avait dérouté.

— C’est évident si vous y réfléchissez un instant, répliqua le vieux. Ce qui n’est pas nommé est incommensurable. Ce qui est nommé perd, derrière son nom, la plupart de ses qualités. On n’arrive plus à les reconnaître!

— Franchement, je vois mal… essaya Ned, sur un ton encore hésitant.

— Prenez les distances, par exemple, poursuivit le vieil homme, d’un air complètement sûr de lui. Rien ne vous interdit de dire que pour aller, que sais-je?, à l’aéroport, vous pouvez prendre le tram jusqu’à la station de métro la plus proche, ensuite remonter jusqu’au croisement de Yonge et Bloor et de là continuer jusqu’à Islington. À Islington, vous changez, vous prenez le bus et vous arrivez à l’aéroport. Tout le monde sait cela. Ce que personne ne sait plus est que, pour faire tout cela, il vous faut néanmoins, sauf retards éventuels, environ deux heures. Ce qui n’est après tout pas peu. Mais la juxtaposition de noms que vous connaissez élimine le temps. Vous les dites et vous voilà aussitôt bercé par l’illusion que ce n’est rien du tout. Tandis qu’en fait, sur le chemin, il pourrait facilement vous arriver des choses qui bouleverseraient votre vie de fond en comble. Mais les noms vous les cachent. C’est encore plus flagrant avec des endroits plus lointains. Vous dites Tombouctou et parce que vous l’avez dit vous croyez savoir tout ce qu’il y a à savoir. Rien ne serait plus faux. Mais le fait que l’endroit n’est plus terra incognita, qu’on ne lit plus sur les cartes hic sunt leones, vous ôte jusqu’à l’envie d’y aller voir. Le nom tue la curiosité. Si vous voulez éloigner le monde d’un endroit, baptisez-le. Et pour les gens, pour les gens c’est encore pire! Une conception ultra-libérale de l’onomastique a fait que tout rapport a désormais disparu entre la personne et l’assemblage de lettres qui est censé la désigner. On a oublié qu’il n’y a que des guerriers ou des forgerons qui peuvent s’appeler Marc et il se trouve d’ignares pacifistes qui nomment ainsi leurs rejetons! On appelle des filles Clio sans même s’assurer d’abord si elles n’ont pas, à tout hasard, la mémoire comme une passoire. Et tout cela est encore assez bénin!… Il n’y avait plus que les Indiens – pardon! les autochtones, les natifs, comme il faut les appeler désormais pour ne pas les offusquer – qui savaient encore choisir leurs noms. Mais maintenant même eux, s’ils ne supportent pas qu’on les confonde avec les habitants d’un sous-continent célèbre pour sa culture millénaire, ne voient rien de mal à signer Joe MacDonald ou Bill Brown comme le dernier des abrutis. Et si un cas n’avait pas été le dernier et qu’il avait eu un fils, vous pouvez être sûr et certain qu’à cette heure il s’appellerait Cooper.

« Dans ces conditions-là, termina-t-il,



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