Dans la tête de mon maître by Béatrice Fontanel

Auteur:Béatrice Fontanel [Fontanel, Béatrice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Stock
Publié: 2019-11-21T06:24:24+00:00

Au début du mois suivant, le peuple de Paris pillait les boulangeries. L’émeute grondait autour de l’Assemblée. Plusieurs députés parvinrent à gagner leur poste, mais sous les huées de la foule en colère qui réclamait le « châtiment des traîtres », terme vague au flanc large par lequel on désignait les coupables des souffrances et des frustrations insupportables subies par le peuple exsangue. J’étais dans la salle avec Félix : les séances étaient devenues une véritable drogue pour nous. Entre deux courses pour mon maître, j’y filai pour retrouver mon compère. Dans la salle, un député se fit le porte-parole du peuple de Paris, dont je commençais à me demander qui il était vraiment au fond… Il réclama de la Convention l’établissement d’un Tribunal révolutionnaire jugeant sans appel les ennemis de la patrie. Sa proposition déclencha une tempête. Certains la jugeaient nécessaire, les Girondins protestèrent avec virulence. Le Breton Lanjuinais bondit comme un puma et protesta contre « cette violation de tous les principes des droits de l’homme ». Danton, lui, proposait plutôt : « Buvons le sang des ennemis de l’humanité » et encore : « Soyons terrible pour dispenser le peuple de l’être. » Le jour même, en quelques minutes, la Convention bâcla la loi qui devait permettre l’institution du Tribunal révolutionnaire, lequel, ils ne le savaient pas encore, allait tous les happer. La Terreur, comme une ogresse primitive, allait dévorer ses propres enfants. En attendant, l’émeute grondait autour de la Convention. De nombreux députés ne se présentèrent pas à la séance du soir. La salle était presque déserte mais, à l’extérieur, la foule mugissait et réclamait des têtes. Au soir, un vent glacé se mit à souffler sur les émeutiers et les dispersa. Je rentrai avec Félix, en serrant le col de mon habit. Le lendemain, l’atmosphère fut tout aussi électrique. Des pétitionnaires déboulèrent à la barre de l’Assemblée pour réclamer la tête de Vergniaud, Élie Guadet et Armand Gensonné. Dans la même journée, d’autres hommes de la section Mauconseil demandèrent la traduction des mêmes députés girondins devant le Tribunal révolutionnaire. Les dénonciations devinrent un métier, le système fut excellemment organisé. On dénonçait tous azimuts. Marat dénonçait Barnave, la Convention tout entière dénonçait Marat, Louvet dénonçait Robespierre, Saint-Just dénonçait Camille Desmoulins, Tallien dénonçait Saint-Just. Ils se dénonçaient tous successivement et alternativement. Ils voulaient s’entre-guillotiner. On conjuguait ce verbe à toutes les personnes et à tous les temps, au présent surtout.

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